Aujourd’hui je dilate ma ligne éditoriale pour une parenthèse spéciale linguistique. Car autant que le cinéma ou la musique je considère ma langue comme un sujet passionnant, et j’aime bien qu’elle soit respectée, bordel !
A ceux qui me taxeraient d’ayatollah joyandiste, je leur répondrais « non c’est inexact » en leur opposant que je suis assez adepte du néologisme par exemple, auquel je m’adonne souvent sur le présent blog quand je lui trouve une utilité (c’est-à-dire quand il pallie l’absence du mot adéquat dans la langue française). En revanche j’ose m’insurger de la prolifération de nombre d’expressions intruses dans ma vie de tous les jours, entendu dans les médias, ou dans mon entourage, voire sortis de ma propre bouche, à mon insu.
Les « c’est clair », « si tu veux » ou autres « tu vois » ont désormais laissé place au vilain « juste », au perfide « énorme », voire à l’exécrable « j’ai envie de dire », tous ces détournements et ces automatismes qui corrompent peu à peu notre vocabulaire, nous pauvres francophones. C’est donc le moment d’agir et de bannir définitivement cette rhétorique triviale consistant à noyer un tas de sophismes dans une mer de paroles oiseuses et de figures ridicules, en commençant par les lister et c’est ce que je me propose de faire, genre maintenant !
1. OU PAS
Quelle utilité ? rire de soi-même en décrédibilisant sa propre parole.
Un petit exemple ? « Je crois qu’il est grand temps que je fasse la vaisselle. Ou pas. »
Pourquoi on doit l’éliminer ? érosion de l’effet autodérisionnel
Ce « ou pas » fait partie d’une longue liste d’expressions qui ont à la base une intention humoristique mais qui l’ont perdu du fait de leur utilisation abusive. On pourrait ajouter à cette catégorie par exemple le fameux « Jean-Claude Van Damme, sors de ce corps » (marche aussi avec Valérie Damidot, Eve Angeli, Benjamin Castaldi ou toute autre personnalité bouffonne), qui ne fait plus rire personne depuis juin 1997. Tout ceci est très bien expliqué dans cet article dément, publié sur cet excellent blog.
2. JUSTE
Quelle utilité ? dynamiser son propos par un euphémisme de bon aloi
Un petit exemple ? « L’article de Tout est neutral sur Goblin c’est juste une tuerie ! »
Pourquoi on doit le kicker ? érosion de l’effet ironique
Des alternatives ? vraiment, tout bonnement, proprement
A la manière d’un « ou pas », le « juste » avait jadis pour but de créer un effet sarcastique dans la phrase par une sorte d’euphémisme adverbial minimaliste. On aurait pu trouver drôle à une époque que des gens comme André Manoukian pussent opposer à un candidat de la Nouvelle Star venant de saccager une chanson de Michael Jackson « C’est juste le meilleur chanteur du siècle, tu l’as juste massacré quoi !! ». Mais maintenant que le charme a cessé d’opérer, le monde entier (tout du moins celui qui parle français) a été gangréné par cet adverbe intrus et l’utilise à tous escients sans plus aucune volonté de créer le quelconque effet comique. Il est juste entré dans le langage courant, et prend dangereusement le chemin du « quoi » de ponctuation qui passe désormais inaperçu, comme l’atteste l’exemple précédent.
3. GENRE
Quelle utilité ? marquer l’approximation (ou pas)
Un petit exemple ? « Le mec il a genre 20 ans et il a déjà la moustache. »
Pourquoi on doit l’exterminer ? syntaxe atroce
Des alternatives ? à tout casser, environ, au bas mot, à vue de nez, peut-être
Pendant français du « it’s like » anglais, le « genre » comme tic de langage a commencé sa carrière tout seul comme un grand il y a quelques temps, alors synonyme de « Style ! » (« Mais non je ne regarde pas Secret Story, juste l’épisode d’hier, pour voir ce que c’est ! – Genre ! »). Aujourd’hui il est devenu un adverbe dont l’utilisation semble autorisée et admise dans n’importe quelle phrase (« Sous le pont Mirabeau coule, genre, la Seine » *).
4. EN MÊME TEMPS
Quelle utilité ? introduire une justification modératrice au propos précédent
Un petit exemple ? « Le gazpacho je trouve ça dégueu. En même temps, j’aime pas les tomates. »
Pourquoi on doit le bannir ? illogisme sémantique
Des alternatives ? mais, cela dit, à ma/ta/sa décharge
Il serait intéressant d’analyser l’origine de cette nouvelle acception de « en même temps ». N’ayant aucun avis sur la question, je laisse à chacun le loisir de lancer le débat en commentaires de cet article.
5. J’AI ENVIE DE DIRE (variantes : j’allais dire, je veux dire, je dirais)
Quelle utilité ? dynamisation de la phrase
Un petit exemple ? « En tout cas Stallone c’est pas un PD, j’ai envie de dire. »
Pourquoi on doit le proscrire ? Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe.
Pourtant assez riche stylistiquement parlant, cette forme de prétérition est tellement usée qu’elle a perdu tout son charme. Surtout depuis que nombre de chroniqueurs télé comme Faustine Bollaert se la sont appropriée un par un. Mais des philosophes sont sur le coup, on va s’en occuper.
6. (JE VAIS/JE SUIS/J’HABITE) SUR PARIS
Quelle utilité ? montrer qu’on est pas un plouc comme tous les ploucs qui disent je vais à Paris
Un petit exemple ? « Avant j’habitais sur Troyes. C’est sur l’Aube (sur la Champagne-Ardenne). »
Pourquoi on doit le supprimer ? parce que c’est même pas français
Une alternative ? à
Sur celui-là, il y a de quoi écrire une thèse. D’ailleurs, une certaine Patricia Hernandez l’a fait. En résumé, le flottement sur/à est expliqué, selon elle, par une décoloration partielle de « sur » qui rapproche l’emploi de ce relateur de la simple localisation et l’attire vers le pôle d’abstraction occupé par « à ». Personnellement j’ai pas compris du tout ce que ça voulait dire donc j’en conclus que c’est pas une raison valable. Mais par honnêteté intellectuelle, j’invite tout un chacun à s’enquérir de son analyse.
7. ENORME
Quelle utilité ? remplacer des termes vieillis comme « épatant » ou « sensass' »
Un petit exemple ? « Comment il est énorme ce top 10 des explosions de tête au cinéma ! »
Pourquoi on doit l’abolir ? parce qu’il y a bien assez de jolis mots pour en vider d’autres de leur sens originel
Des alternatives ? fantastique, extraordinaire, fabuleux, prodigieux, merveilleux, phénoménal
Le mot énorme au sens « incroyable » fait florès depuis une dizaine d’années. C’est inadmissible. Juste une précision intéressante, son hideuse variante textuelle « hénaurme » existe depuis au moins 1932 puisqu’on la retrouve chez Jules Romains. Etonnant non ?
8. JE SUIS EN MODE …
Quelle utilité ? résumer l’humeur ou l’action d’un individu ou de soi-même par un simple substantif
Un petit exemple ? « Gilbert, il est en mode queutard en ce moment. »
Pourquoi on doit l’exclure ? galvaudé et linguistiquement pauvre
Des alternatives ? oui ou non, selon le contexte (pour Gilbert on pourrait dire par exemple « il est bien chaud de la teub en ce moment » **)
L’expression « être en mode … », dérivé de l’anglais « to be in … mode » existe depuis un certain temps dans la langue française, appliquée à des domaines techniques (« il marche même pas en mode sans échec ce putain de PC », « passe en mode haut-parleur, j’entends pas ce qu’elle dit la dame »). En revanche, son utilisation dans la langue générale, et qui plus est, appliquée à une personne, n’est pas admise. Voilà.
9. VOILA
Quelle utilité ? apporter une conclusion faussement efficace à une intervention écrite ou orale
Un petit exemple ? « Voilà. »
Pourquoi on doit lui casser les genoux ? ça sert à rien
Des alternatives ? non puisque ça sert à rien
Le « voilà » est la béquille de conclusion équivalente au « en fait » d’introduction. Parfaitement inutile à l’oral, on ne l’utilise que pour exorciser la fin pas assez conclusive d’un discours ou d’un exposé. A l’écrit, on ponctue un texte d’un « voilà » pour apporter une pointe d’ironie quand il est trop mauvais pour se suffire à lui-même (cf. paragraphe précédent). Existe aussi en version longue (« donc voilà ») et en version supersize (« donc voilà quoi », plus familier).
10. C’EST VRAI QUE / JE CROIS QUE BON (spécial Laurent Blanc)
Quelle utilité ? estomper la banalité de son propos en ajoutant plein de mots
Un petit exemple ? ici
J’ai trouvé que 9 expressions et tics de langages vraiment agaçants, donc je conclus par un petit bonus foot. Voir le lien ci-dessus.
* C’est un alexandrin.
** Vous me pardonnerez cette vulgarité mais c’est bon pour mon référencement.