Critique : Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures

« Splendide », « envoûtant », « une merveille », pouvait-on lire récemment dans la presse à propos d’Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Face au consensus, quelques résistants se firent traiter de sombres brutes poujadistes pour avoir donné un avis moins favorable. Me trouvant dans une position absolument neutre face à cette géguerre socio-culturelle, je me suis donc rendu sans préjugé aucun pour voir de mes yeux cette fameuse Palme d’Or, remise en mai dernier par mon idole, Tim Burton (bon d’accord l’a-priori était peut-être légèrement favorable).

Début du film. Pas de musique, juste des sons. Ceux de la nature thaïlandaise, de la nuit, des bestioles qui grésillent, bourdonnent, pépient, cacardent, croucroutent, un plan sur un buffle, qui dure, qui dure, mais ce n’est pas désagréable. C’est même apaisant. Tout le reste du film sera caractérisé par ce calme, cette tranquillité, ce naturel.

Quand Oncle Boonmee reçoit la visite du fantôme de sa femme ou d’un singe aux yeux rouges (qui s’avère être son fils disparu), il n’a pas peur, les reçoit avec simplicité, leur offre un verre d’eau, leur fait part de ses inquiétudes à leur sujet (« manges-tu à ta faim ? as-tu de quoi te vêtir ? »), leur montre les albums de photos prises depuis leur départ. On tient là les meilleures scènes du films, chimériques mais paradoxalement ancrées dans le réel (ici les fantômes savent manipuler un dialyseur). Malheureusement, ces moments-là sont peu nombreux.

Car Oncle Boonmee, c’est surtout un délire mystique d’Apichatpong Weerasethakul (que j’appelerai Joe dans la suite de l’article pour des raisons évidentes), et quand dans le film, le réel disparaît au profit de représentations de rêves, de vies antérieures ou quoi que ce soit, il devient très difficile de le suivre dans son inspiration. Malgré sa maîtrise parfaite de la lumière et des décors qui font de ses images de splendides tableaux, Joe ne parvient pas à éviter l’ennui (le mien en tout cas). Chaque action, chaque mouvement est décomposé avec une lenteur infinie, et même les personnages semblent prendre plaisir à s’attarder sur chaque mot, d’un ton monocorde et soporeux.

Quelques belles scènes parviennent parfois à provoquer un réveil momentané (par exemple, celle qui précède le fameux épisode du poisson-chat) mais elles sont beaucoup trop rares pour ne pas laisser un profond sentiment d’ennui et d’incompréhension à des gros ploucs comme moi qui ne comprennent rien au cinéma (ceci est un sarcasme).

Le fils d’Oncle Boonmee avant le drame (transormation en wookie)

Mais comme tout est affaire de goût et de perception personnelle, allez donc voir ce film, c’est une Palme d’Or donc un futur classique, sachez juste que vous pouvez partir si vous avez envie de mourir au bout de la première heure, car la suivante sera du même calibre. Dans le cas contraire, restez-y, puis venez m’expliquer.

Top 10 des films de l’Etrange Festival 2010

L’Etrange Festival se déroulait la semaine dernière au Forum des Images de Paris. Cette sélection de films remarquables par leur originalité et/ou leur extrémisme permet d’ouvrir un maximum le spectre des possibles qu’offre le cinéma et on ressort forcément grandi d’une semaine comme celle que je viens de vivre. Pour ceux qui auraient manqué cet événement délicieux, voici mon palmarès personnel de la sélection 2010, tout du moins des films que j’ai eu l’occasion de voir (ce qui explique l’absence de Monsters ou A Serbian Film notamment). J’encourage chaudement quiconque lit ces lignes à aller voir (ou se procurer, pour ceux qui ne sortiront pas en France) un maximum de ces films, en commençant par le haut (et en s’arrêtant au cinquième, idéalement).

1. Rubber de Quentin Dupieux
Avec Stephen Spinella, Roxane Mesquida, Jack Plotnick
Il arrive souvent que l’on attende un film depuis si longtemps qu’on ne peut s’empêcher d’en avoir des espérances inatteignables. On ressort alors de la salle déçu, presque triste, voire en colère. Pour Rubber ce ne fut pas du tout le cas, bien au contraire. Je m’attendais à ce qui était annoncé, une histoire de pneu télékinésiste et légèrement psychopathe, un film de genre complètement barge, à l’image des précédents de Quentin Dupieux. Oui Rubber c’est d’abord ça, une mise en scène qui parvient à rendre un pneu vivant, émotif, inquiétant, une photo parfaite, des acteurs immenses. Mais ce qu’on ne m’avait pas annoncé c’est toute la partie immergée de l’iceberg, qui est colossale. Au delà de l’histoire du pneu vient se greffer toute une structure intermédiaire. On suit les aventures du public venu voir un film au milieu du désert (celui du pneu), et qui le suit au moyen de jumelles optiques. Les deux histoires s’entrecroisent et nous offrent un délice de comédie absurde, rappelant les meilleures heures du cinéma de Buñuel période « charme discret ». Mais j’y consacrerai probablement un article entier lors de la sortie en salles du film (10 novembre) tant il y a de choses à en dire.

2. The immaculate conception of Little Dizzle de David Russo
Avec Marshall Allman, Natasha Lyonne, Sean Nelson
L’un des films qui rend le plus grâce au nom du festival qui l’accueille. Etrange effectivement, cette histoire de techniciens de surface se gavant de gâteaux hallucinogènes trouvés dans les poubelles de leurs employeurs. Difficile de résumer plus en détail ce film, on pourrait le synthétiser en disant qu’il est une sorte de mixture regroupant le charme indie des frères Safdie, les dialogues ciselés du meilleur Kevin Smith, les délires hallucinés de Gregg Araki et la folie scénaristique de Charlie Kaufman. Original, forcément, mais surtout drôle de bout en bout. Un film tellement étrange que j’ai bien peur de ne pas pouvoir le revoir en salle de sitôt (pas de date de sortie française prévue).

3. Buried de Rodrigo Cortés
Avec Ryan Reynolds
« Tu crois vraiment que tout le film va se passer dans le cercueil ? Ha ha ». On me riait au nez quand j’essayais d’imaginer Buried avant d’aller le voir en salle. Cette histoire d’un camionneur en mission en Irak qui se réveille six pieds sous terre avec pour seule compagnie un briquet et un téléphone portable. Eh bien oui monsieur, pas un seul plan du film ne se déroule hors du cercueil, et c’est là que Buried est exceptionnel. Le dernier cinéaste à avoir tenté une telle prouesse est Joel Schumacher, avec son excellent Phone Game, qui parvenait à nous tenir en haleine pendant 80 minutes. Dans Buried, en l’espace d’1h35, l’espagnol Rodrigo Cortés ne nous laisse pas une seconde pour respirer. Le moindre coup de fil passé prend aussitôt une charge dramatique immense, grâce à une mise en scène inventive et efficace. Un coup de maître. Sortie en salles le 3 novembre.

4. Pontypool de Bruce McDonald
Avec Stephen McHattie, Lisa Houle, Georgina Reilly
Autre film à concept, à l’image de Buried. Grant Mazzy, animateur de radio libre, reçoit des appels de gens paniqués, racontant des émeutes assorties de faits divers étranges. Grant, sa standardiste et sa productrice commencent à flipper eux aussi. Canular ou réalité ? La question se pose aussi pour le spectateur. Bruce McDonald parvient à nous emmener où il veut grâce à son excellent travail sur l’image et le son, et arrive à faire de nous des victimes au même titre que ses protagonistes principaux face à une énigme dont seul le générique final nous donnera des éléments de réponse. Un objet cinématographique déroutant, à voir par curiosité, en DVD (pas de sortie ciné prévue).

5. Bedevilled de Cheol So Jang
Avec Young-hee Seo, Sung-won Ji Seo, Min-ho Hwang
Victime de surmenage, Hae-won prend des vacances dans l’île où elle a grandi, au fin-fond de la Corée. Elle y retrouve une amie d’enfance, Bok-nam, qui n’a jamais quitté l’île et est visiblement malmenée par les habitants. Hae-won, troublée, ne sait pas comment réagir. Cheol So Jang parvient à installer une tension croissante pendant une bonne moitié de film avant de balancer la purée dans un final sordide et ultra-gore. En passant, il amorce une réflexion sur la culpabilité et la question de comment réagir face à l’humiliation d’autrui, dans un film plutôt réussi mais assez incommodant.

6. The Housemaid de Im Sang-Soo
Avec Jeon Do-Yeon, Lee Jung-jae, Youn Yuh-jung
Note : On entre dans la deuxième partie du top, à partir de maintenant ce sont des films que je ne conseille pas. Euny est embauchée comme gouvernante dans une famille bourgeoise. Elle entretient une relation avec le père de famille et tombe enceinte. Bad trip. Très beau pendant une heure, The Housemaid ne parvient pas à tenir la distance et se perd dans un gouffre mélodramatique menant tout droit à une fin d’un grotesque achevé. Sortie le 15 septembre.

7. Le dernier exorcisme de Daniel Stamm
Avec Patrick Fabian, Ashley Bell, Iris Bahr
Cotton Marcus est suivi par une chaîne de télévision pour révéler à l’Amérique que tout son passé d’exorciste n’était qu’une vaste supercherie, mais voilà qu’il se retrouve en présence d’un vrai cas de possession démoniaque. L’idée de départ est bonne, et d’ailleurs le film est drôle pendant une bonne demi-heure quand on voit Cotton raconter sa vie, se déplacer avec l’équipe du documentaire, puis pratiquer un exorcisme pipoté en dévoilant ses trucs en montage alterné. L’idée du faux documentaire est là parfaitement justifiée. Mais quand on bascule dans le film d’horreur, le procédé, déjà usé par Blair Witch, Cloverfield ou Rec devient inutile, voire pesant, d’autant que Daniel Stamm ne lui apporte aucun renouveau. On n’a jamais peur et cette histoire vraiment trop bateau ne suscite pas le moindre intérêt. Au final, les seuls sursauts provoqués le seront grâce à une musique criarde, qui n’a dans le cadre du faux documentaire aucune légitimité. Sortie le 15 septembre.

8. Four Lions de Chris Morris
Avec Riz Ahmed, Arsher Ali, Nigel Lindsay
Four Lions raconte l’histoire de quatre djihadistes anglais complètement idiots, obsédés par l’idée de se faire exploser. Evidemment, c’est original, diablement osé même, de tourner en dérision un tel sujet. Le seul problème (et il est énorme) c’est que la stupidité des protagonistes est telle qu’elle en devient inconcevable et ne parvient à provoquer que les sourires polis. On se remet alors à quelques situations cocasses pour trouver de quoi rire mais elles ne sont pas si fréquentes et on regrette à la fin que tous ces gags rocambolesques semblent avoir été écrits sans le moindre souci de vraisemblance. Sortie le 8 décembre.

9. Proie de Antoine Blossier
Avec Grégoire Colin, Bérénice Béjo, François Levantal
Une vague histoire de sangliers mutants dans la cambrousse, un film d’horreur français, pas terrible. Ce n’est pas très bien filmé, pas très subtil, et on ne voit pas grand chose (pratiquement tout le film se passe de nuit) et c’est peut-être heureux car les effets spéciaux sont gravement cheapos. Pas de date de sortie prévue mais je ne pense pas qu’il soit indispensable d’aller le voir.

Pas de vidéo mais une belle image.

10. Nous sommes ce que nous sommes de Jorge Grau
Avec Francisco Barreiro, Alan Chavez, Juan Carlos Colombo
On nous promettait un Morse version antropophage transposé au Mexique, mais ce film (présenté à Cannes en mai dernier) ne tient pas une seconde la comparaison. Cette histoire d’une famille de cannibales livrée à elle-même après la mort du père ne se situe ni dans le registre de la métaphore sociétale, ni dans celui du film de genre rigolard. C’est sinistre, pesant, pas drôle (cela dit, ça ne cherche pas à l’être), on ne comprend rien et on se fait chier.

Top 10 des expressions galvaudées et tics de langages bien agaçants

Aujourd’hui je dilate ma ligne éditoriale pour une parenthèse spéciale linguistique. Car autant que le cinéma ou la musique je considère ma langue comme un sujet passionnant, et j’aime bien qu’elle soit respectée, bordel !

A ceux qui me taxeraient d’ayatollah joyandiste, je leur répondrais « non c’est inexact » en leur opposant que je suis assez adepte du néologisme par exemple, auquel je m’adonne souvent sur le présent blog quand je lui trouve une utilité (c’est-à-dire quand il pallie l’absence du mot adéquat dans la langue française). En revanche j’ose m’insurger de la prolifération de nombre d’expressions intruses dans ma vie de tous les jours, entendu dans les médias, ou dans mon entourage, voire sortis de ma propre bouche, à mon insu.

Les « c’est clair », « si tu veux » ou autres « tu vois » ont désormais laissé place au vilain « juste », au perfide « énorme », voire à l’exécrable « j’ai envie de dire », tous ces détournements et ces automatismes qui corrompent peu à peu notre vocabulaire, nous pauvres francophones. C’est donc le moment d’agir et de bannir définitivement cette rhétorique triviale consistant à noyer un tas de sophismes dans une mer de paroles oiseuses et de figures ridicules, en commençant par les lister et c’est ce que je me propose de faire, genre maintenant !

1. OU PAS
Quelle utilité ? rire de soi-même en décrédibilisant sa propre parole.
Un petit exemple ? « Je crois qu’il est grand temps que je fasse la vaisselle. Ou pas. »
Pourquoi on doit l’éliminer ? érosion de l’effet autodérisionnel
Ce « ou pas » fait partie d’une longue liste d’expressions qui ont à la base une intention humoristique mais qui l’ont perdu du fait de leur utilisation abusive. On pourrait ajouter à cette catégorie par exemple le fameux « Jean-Claude Van Damme, sors de ce corps » (marche aussi avec Valérie Damidot, Eve Angeli, Benjamin Castaldi ou toute autre personnalité bouffonne), qui ne fait plus rire personne depuis juin 1997. Tout ceci est très bien expliqué dans cet article dément, publié sur cet excellent blog.

2. JUSTE
Quelle utilité ? dynamiser son propos par un euphémisme de bon aloi
Un petit exemple ? « L’article de Tout est neutral sur Goblin c’est juste une tuerie ! »
Pourquoi on doit le kicker ? érosion de l’effet ironique
Des alternatives ? vraiment, tout bonnement, proprement
A la manière d’un « ou pas », le « juste » avait jadis pour but de créer un effet sarcastique dans la phrase par une sorte d’euphémisme adverbial minimaliste. On aurait pu trouver drôle à une époque que des gens comme André Manoukian pussent opposer à un candidat de la Nouvelle Star venant de saccager une chanson de Michael Jackson « C’est juste le meilleur chanteur du siècle, tu l’as juste massacré quoi !! ». Mais maintenant que le charme a cessé d’opérer, le monde entier (tout du moins celui qui parle français) a été gangréné par cet adverbe intrus et l’utilise à tous escients sans plus aucune volonté de créer le quelconque effet comique. Il est juste entré dans le langage courant, et prend dangereusement le chemin du « quoi » de ponctuation qui passe désormais inaperçu, comme l’atteste l’exemple précédent.

3. GENRE
Quelle utilité ? marquer l’approximation (ou pas)
Un petit exemple ? « Le mec il a genre 20 ans et il a déjà la moustache. »
Pourquoi on doit l’exterminer ? syntaxe atroce
Des alternatives ? à tout casser, environ, au bas mot, à vue de nez, peut-être
Pendant français du « it’s like » anglais, le « genre » comme tic de langage a commencé sa carrière tout seul comme un grand il y a quelques temps, alors synonyme de « Style ! » (« Mais non je ne regarde pas Secret Story, juste l’épisode d’hier, pour voir ce que c’est ! – Genre ! »). Aujourd’hui il est devenu un adverbe dont l’utilisation semble autorisée et admise dans n’importe quelle phrase (« Sous le pont Mirabeau coule, genre, la Seine » *).

4. EN MÊME TEMPS
Quelle utilité ? introduire une justification modératrice au propos précédent
Un petit exemple ? « Le gazpacho je trouve ça dégueu. En même temps, j’aime pas les tomates. »
Pourquoi on doit le bannir ? illogisme sémantique
Des alternatives ? mais, cela dit, à ma/ta/sa décharge
Il serait intéressant d’analyser l’origine de cette nouvelle acception de « en même temps ». N’ayant aucun avis sur la question, je laisse à chacun le loisir de lancer le débat en commentaires de cet article.

5. J’AI ENVIE DE DIRE (variantes : j’allais dire, je veux dire, je dirais)
Quelle utilité ? dynamisation de la phrase
Un petit exemple ? « En tout cas Stallone c’est pas un PD, j’ai envie de dire. »
Pourquoi on doit le proscrire ? Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe.
Pourtant assez riche stylistiquement parlant, cette forme de prétérition est tellement usée qu’elle a perdu tout son charme. Surtout depuis que nombre de chroniqueurs télé comme Faustine Bollaert se la sont appropriée un par un. Mais des philosophes sont sur le coup, on va s’en occuper.

6. (JE VAIS/JE SUIS/J’HABITE) SUR PARIS
Quelle utilité ? montrer qu’on est pas un plouc comme tous les ploucs qui disent je vais à Paris
Un petit exemple ? « Avant j’habitais sur Troyes. C’est sur l’Aube (sur la Champagne-Ardenne). »
Pourquoi on doit le supprimer ? parce que c’est même pas français
Une alternative ? à
Sur celui-là, il y a de quoi écrire une thèse. D’ailleurs, une certaine Patricia Hernandez l’a fait. En résumé, le flottement sur/à est expliqué, selon elle, par une décoloration partielle de « sur » qui rapproche l’emploi de ce relateur de la simple localisation et l’attire vers le pôle d’abstraction occupé par « à ». Personnellement j’ai pas compris du tout ce que ça voulait dire donc j’en conclus que c’est pas une raison valable. Mais par honnêteté intellectuelle, j’invite tout un chacun à s’enquérir de son analyse.

7. ENORME
Quelle utilité ? remplacer des termes vieillis comme « épatant » ou « sensass' »
Un petit exemple ? « Comment il est énorme ce top 10 des explosions de tête au cinéma ! »
Pourquoi on doit l’abolir ? parce qu’il y a bien assez de jolis mots pour en vider d’autres de leur sens originel
Des alternatives ? fantastique, extraordinaire, fabuleux, prodigieux, merveilleux, phénoménal
Le mot énorme au sens « incroyable » fait florès depuis une dizaine d’années. C’est inadmissible. Juste une précision intéressante, son hideuse variante textuelle « hénaurme » existe depuis au moins 1932 puisqu’on la retrouve chez Jules Romains. Etonnant non ?

8. JE SUIS EN MODE …
Quelle utilité ? résumer l’humeur ou l’action d’un individu ou de soi-même par un simple substantif
Un petit exemple ? « Gilbert, il est en mode queutard en ce moment. »
Pourquoi on doit l’exclure ? galvaudé et linguistiquement pauvre
Des alternatives ? oui ou non, selon le contexte (pour Gilbert on pourrait dire par exemple « il est bien chaud de la teub en ce moment » **)
L’expression « être en mode … », dérivé de l’anglais « to be in … mode » existe depuis un certain temps dans la langue française, appliquée à des domaines techniques (« il marche même pas en mode sans échec ce putain de PC », « passe en mode haut-parleur, j’entends pas ce qu’elle dit la dame »). En revanche, son utilisation dans la langue générale, et qui plus est, appliquée à une personne, n’est pas admise. Voilà.

9. VOILA
Quelle utilité ? apporter une conclusion faussement efficace à une intervention écrite ou orale
Un petit exemple ? « Voilà. »
Pourquoi on doit lui casser les genoux ? ça sert à rien
Des alternatives ? non puisque ça sert à rien
Le « voilà » est la béquille de conclusion équivalente au « en fait » d’introduction. Parfaitement inutile à l’oral, on ne l’utilise que pour exorciser la fin pas assez conclusive d’un discours ou d’un exposé. A l’écrit, on ponctue un texte d’un « voilà » pour apporter une pointe d’ironie quand il est trop mauvais pour se suffire à lui-même (cf. paragraphe précédent). Existe aussi en version longue (« donc voilà ») et en version supersize (« donc voilà quoi », plus familier).

10. C’EST VRAI QUE / JE CROIS QUE BON (spécial Laurent Blanc)
Quelle utilité ? estomper la banalité de son propos en ajoutant plein de mots
Un petit exemple ? ici
J’ai trouvé que 9 expressions et tics de langages vraiment agaçants, donc je conclus par un petit bonus foot. Voir le lien ci-dessus.

* C’est un alexandrin.
** Vous me pardonnerez cette vulgarité mais c’est bon pour mon référencement.

Critique : Piranha 3D, de Alexandre Aja

Jake (Steven R. McQueen) habite dans une région de rêve, au bord d’un lac paradisiaque. Quand un réalisateur de porno (Jerry O’Connell) l’invite à le rejoindre sur son yacht rempli de jeunes femmes à la plastique parfaite pour les guider sur le lac, il profite de l’occasion pour sortir de son quotidien morose de post-ado timide et emprunté. Manque de pot, des piranhas sortis de nulle part bouffent tout sur leur passage.

Tel est le pitch plutôt banal de Piranha. La façon dont il a été traité par Alexandre Aja l’est moins. Car comme une sorte de Pasolini des temps modernes, le frenchy a visiblement choisi de scinder son film en deux parties distinctes, le cycle du nichon et le cycle de la viande rouge. Le prétexte du tournage de film porno est l’occasion de montrer à chaque plan une paire de gros seins comprimés dans un soutif rouge pétant ou ballottant au ralenti dans l’eau bleue du lagon, et cela pendant une bonne demi-heure. Toujours avec une certaine distanciation humoristique plutôt appréciable.

Dans la seconde partie du film en revanche, ce côté charnel est totalement délaissé pour laisser place à des scènes bien plus trash. Et là tout est prétexte à du gore bien craspouille, non seulement les piranhas (particulièrement voraces) s’en donnent à coeur joie, mais de tristes individus ne ménageant pas leurs congénères pour sauver leur peau, sans oublier les éléments du décors invraisemblablement dangereux sont autant de dommages collatéraux bien ballots et bien rigolos que l’on nous donne à voir avec une certaine jouissance (mourir coupé en deux par un câble électrique c’est quand même pas de chance). Zéro suspense, zéro angoisse, que du gore, rien n’est suggéré, tout est montré, et au bout d’un certain moment on ne compte plus les corps moitié-chair moitié-squelette ressortis de l’eau par des sauveteurs effarés.

Un piranha dont l’espèce est censée avoir disparu il y a 2 millions d’années !! 
(à lire avec la voix d’Emmett Brown)

Ces deux parties distinctes s’emboîtent finalement plutôt bien mais le ton du film a tendance à virer premier degré au fil des minutes. La construction très classique de l’intrigue n’est pas là pour apporter un peu de fantaisie et sans le personnage du réalisateur porno ou celui du scientifique échevelé joué admirablement par Christopher Lloyd on pourrait très bien considérer le scénario de Piranha comme celui du pire film de l’année. Ce qui sauve le film, c’est cette outrance, ce culot qui fait que l’on ne craint pas de montrer en gros plan un poisson très méchant ne faire qu’une bouchée d’un gros kiki esseulé, ou de citer directement Braindead en déchiquetant du piranha avec une hélice de hors-bord.

Du point de vue visuel, c’est plutôt laid, disons-le. Les piranhas sont assez mal synthétisés et les scènes de festin sont assez troubles pour qu’on ne puisse pas voir la faiblesse technique des images. Pour ce qui est de la 3D, elle est absolument inutile. On remarque bien les tentatives du réalisateur d’incorporer des éléments troidéisables dans ses séquences, mais ce n’est guère convaincant et les gouttes d’un vomi craché en contre plongée, a priori le clou du spectacle, n’arrivent même pas à atteindre le dixième du chemin parcouru par la célèbre fraise Tagada d’avant-film.

Au delà de ses quelques guests sympas (Richard Dreyfuss, Elisabeth Shue, Christopher Lloyd, Ving Rhames, Eli Roth), Piranha brille donc par son sens de l’humour et du gore sans concession. Beaucoup moins par son scénario et sa réalisation technique. Avis aux amateurs.

Critique : Poetry, de Lee Chang-Dong

Poetry, c’est la caution cannoise de la semaine, forte de son prix du scénario remis par Monsieur Tim Burton au dernier festival. Alors malgré une belle fournée de nouveaux films cette semaine (Le bruit des glaçons, Salt, Ondine, 600 kilos d’or pur, Gentlemen Broncos), se réserver 2h20 pour aller voir le film de Lee Chang-Dong ne peut pas être une mauvaise idée.

Pitch : A 65 ans, tout va mal pour Mija (Yun Junghee). Elle perd la mémoire, son petit-fils dont elle a la charge est accusé de viol, et même si un arrangement peut être trouvé avec la famille de la victime, elle doit trouver une grosse somme d’argent en peu de temps pour la dédommager. Parallèlement elle prend des cours de poésie, assiste à des lectures du soir, et tente d’écrire, en vain.

En voilà un pitch bien garni (et encore j’ai pas tout dit). Et justement, Poetry aurait pu être admirable si son scénario n’était pas aussi trapu. De péripétie en péripétie, autour de la protagoniste principale, les couches scénaristiques s’amoncellent, épaississent le récit et finissent par le rendre indigent.

Des événements, des rebondissements, il y en a, mais ils se diluent dans chaque élément ajouté à la trame principale. Les différents segments du film ne cessent de s’entrecouper, installant un rythme soutenu qui finit paradoxalement par ennuyer. On n’a jamais l’occasion d’entrer vraiment dans une scène, de la ressentir, malgré les 140 minutes d’images. 

 

On pourrait comparer ce film à l’excellent Mother, de Bong Joon-Ho. Mother dressait aussi le portrait d’une femme au bord du gouffre, une maman tentant d’innocenter son fils, accusé de meurtre. Cette idée fixe était un fil rouge tout trouvé au film et le rendait haletant. Dans Poetry, c’est très différent, Mija doit trouver beaucoup d’argent mais cela ne semble pas lui importer, elle virevolte, gamberge, mange des pommes, écrit des mots dans un carnet, va voir le docteur, travaille un peu, discute avec des passants, va à des cours de poésie. Finalement le film est comme son héroïne, une allégorie de la frivolité, du dilettantisme, qui vit moyennement la transposition à l’écran. Un tel parti pris aurait pu être intéressant si le vrai sujet était la maladie d’Alzheimer, mais il n’est pas que cela (d’ailleurs il est traité très sommairement), et c’est un problème.

Le sujet, c’est la poésie, et il est vrai qu’elle est évoquée de bout en bout mais Lee Chang-Dong n’arrive jamais à le traiter qu’en surface. Par exemple, les longues scènes de déclamations de poésie auxquelles assiste Mija, au lieu d’intensifier la narration, restent au stade de l’anecdote et finissent par ennuyer, faute de lien avec le reste de l’histoire.

Malgré ses défauts, Poetry trouve à offrir quelques moments de grâce, notamment par les rencontres que fait Mija, qui donnent lieu à de belles séquences dialoguées, on l’on commence à sentir de la vie dans le cinéma de Lee Chang-Dong, celle qui manque à toutes ces saynètes trop dispersées pour toucher. Poetry reste un film infiniment délicat et humain, parfois touchant, et il lui manquerait peu de choses pour être un grand film.