Deux semaines de cinéma : 7 films à voir (ou pas)

Pendant que d’autres festoient à Cannes, moi je vais voir des films. Y en a eu pour tous les goûts depuis début mai, l’occasion d’un petit résumé des forces en présence.
ENTER THE VOID de Gaspar Noé
Les dernières heures d’un dealer, puis la vie après la mort selon Gaspar Noé. Après un générique incroyable, la première heure est brillante. C’est bien troussé, visuellement du jamais vu et le son extrêmement bien géré.
La deuxième heure, alternance de flashbacks et de travellings vertigineux, est un peu plus poussive, Noé répétant sans cesse le même schéma travelling arrière, déformation de l’image, plongée dans une source de lumière (ou un trou), puis deux minutes d’images épileptiques (goût prononcé pour les stroboscopes) accompagné dans la salle de la sortie d’un ou deux spectateurs. Mais malgré sa longueur, cette partie centrale du film jouit d’un certain entrain qui nous laisse facilement hypnotisé devant ces images inhabituelles. On ne peut pas en dire autant d’un final d’une niaiserie insigne, sous des dehors porno-grandiloquents, dont on ne saisit absolument pas la cohérence avec le reste du film. En tout cas, que Noé ait quelque chose à dire ou pas, finalement, peu importe, l’expérience mérite d’être vécue, au moins pour la moitié du film.
Le meilleur générique de l’an 2010, sur une musique de LFO
AMES EN STOCK de Sophie Barthes
Pitch : Paul Giamatti (qui joue son propre rôle) a des idées noires. Pour y remédier il se débarrasse de son âme, responsable de ses maux, en faisant appel à une entreprise spécialisée. Dans le même temps, une actrice ratée cherche à voler l’âme de grands acteurs américains pour pouvoir obtenir un rôle dans un soap-opera.
Empruntant énormément à Dans la peau de John Malkovich, et de manière générale à toute l’oeuvre scénaristique de Charlie Kaufman, Sophie Barthes livre un film drôle et inventif, beaucoup moins tarabiscoté que ceux de son modèle. L’avantage : moins prise de tête (remember Synecdoque New York), l’inconvénient : peut-être moins profond et de fait, oublié aussitôt. Une bonne surprise néanmoins, et un Giammatti admirable, comme d’habitude.
« Just because it’s small it doesn’t mean anything. »
DANS SES YEUX de Juan José Campanella
Un ancien avocat écrit un roman d’auto-fiction racontant une période de sa vie marquée par une affaire de meurtre pas encore tout à fait résolue, et une relation implicite entretenue avec l’une de ses collègues.
L’Oscar 2009 du meilleur film étranger est un thriller à la fois calme et haletant, limpide mais très subtil dans son rapport entre les personnages et techniquement très maîtrisé (cf. la vidéo ci-dessous, premières images d’un plan-séquence de folie à la moitié du film). Un film parfois drôle, parfois très sombre, à la tonalité assez singulière.
Petit bémol : le film se termine sur une sorte d’énorme pavé dans la mare lâché comme si de rien n’était et complètement négligé dans la conclusion du film, qui nous fait nous demander si tout ce que l’on a vu auparavant a vraiment un sens.
La suite de cette séquence ébouriffante est à voir dans toutes les bonnes salles de cinéma.

LES GRIFFES DE LA NUIT de Samuel Bayer
Ben voilà c’est le remake de Freddy, le même méchant, la même histoire, le même concept. Malgré de nombreuses failles scénarististiques (par exemple la blague du mec qui a sur son site perso une vidéo dans laquelle il se fait buter) et un déroulement de l’intrigue on ne peut plus classique, le film remplit son office : ça fait peur, c’est gore, c’est drôle. Jackie Earle Haley (le Rochschach de Watchmen) remplit son rôle de méchant avec conviction, le film avance à bon rythme, on ne s’ennuie pas, et le slash final est assez démentiel (applaudissements nourris du public à la fin de ma séance). Voilà donc un bon Freddy qui ne pourra que ravir les amateurs du genre débile-mais-flippant.
N’ayant pas en ma possession d’extrait des Griffes de la Nuit, voici un extrait d’une oeuvre
tout aussi captivante, Le Monde Vivant, d’Eugène Green
LOLA de Brillante Mendoza
Lola en philippin ça veut dire grand-mère (en tout cas c’est ce que j’ai compris en lisant les sous-titres).
Pitch : quelqu’un se fait tuer dans la rue. Le film raconte les chemins croisés des grand-mères respectives du meurtrier et de la victime, les jours suivant le drame. C’est contemplatif, c’est beau parfois, triste souvent, mais c’est surtout assez long, trop long. Le film marche au rythme de ces vieilles dames que l’on voit déambuler l’une après l’autre dans de longues séquences impassibles, qui ne manquent pas de grâce et d’une certaine charge émotionnelle, mais assez propices à l’ennui. Les deux actrices sont évidemment excellentes et leurs rares confrontations sont les grands moments du film, justes et émouvants. Rien à ajouter. Et pas d’extrait.
ROBIN DES BOIS de Ridley Scott
Le Robin des Bois de Ridley Scott est très décevant, et ce dès la première apparition de Russell Crowe. A voir ce Robin Longstride bourrin et antipathique vociférer de sa voix de baryton au milieu du champ de bataille, on irait jusqu’à regretter le Franck Dubosc sautillant du Cinéman de Yann Moix. Le film n’est qu’une succession de batailles interminables entre Anglais et Français, on ne sait jamais très bien quand, ni où, ni pourquoi. Et on ne comprend jamais qui est ce monsieur joufflu qui troque son arc et ses flèches contre une épée en tout début de film sans véritable raison. On retrouve bien ce cher frère Tuck ou cette brave Marianne mais on ne voit pas très bien leur utilité dans l’histoire, pas plus que celle des flash-backs nous rappelant au passé de Robin dont on se fout éperdument. Bref, j’ai pas trop aimé (sauf le générique final qui est pas mal).
Voilà.
L’AMOUR C’EST MIEUX A DEUX de Dominique Farrugia et Arnaud Lemort
Le navet sympathique de la semaine. Arnaud Lemort et Dominique Farrugia tentent tout pour faire rire tout le monde, tout le temps, avec plus ou moins de réussite (plutôt moins). L’invective grossière (« ta gueule ! » ah ah ah), le gag au 3ème degré (drôle parce que tellement nul : « si on me dit pas tout je réponds patate »), le jeu de mot pourlingue (« je m’appelle Ariel et je suis homo »), le comique de situation complètement invraisemblable (oh vous avez du chewing gum sur votre pantalon !) voire en dernier recours le show individuel (hélas c’est Clovis Cornillac qui s’y colle). Heureusement, certains seconds rôles comme Laurent Lafitte parviennent parfois à s’extirper de la médiocrité générale du film. Au final c’est plutôt dynamique, on ne s’ennuie pas, mais on ne rit pas beaucoup.
Une tentative de blague subversive au début du film (sur les handicapés houlala). Ca n’ira pas plus loin.

Crazy Night, une petite comédie sympatoche

Shawn Levy, réalisateur de La Nuit au Musée et La Panthère Rose en a visiblement eu marre de faire des films de gamins. S’infiltrant dans la brèche qu’avait ouvert The Hangover l’an dernier, l’ami Shawn a réussi à s’entourer des excellents Steve Carell et Tina Fey pour faire un vrai film de comédie pour les grands.

Le couple Foster en a un peu marre de son train-train quotidien et décide d’aller dîner dans le resto le plus classe de la ville. Complet, mais par un heureux concours de circonstances ils arrivent à se faire passer pour un autre couple ayant réservé leur place, eux. Le problème, c’est que ce couple est recherché par de dangereux malfaiteurs… Badaboum.

Voilà donc le point de départ pas très jojo de cette comédie. On croit qu’on va souffrir et finalement non, c’est drôle, grâce d’abord à Steve Carell et Tina Fey, excellents quoiqu’un peu trop prolifiques en bonnes vannouzes du tac au tac pour rendre crédible leur couple prétendu morose (ce que personnellement j’appelle le syndrome Friends, mais j’en parlerai un autre jour). Car plus encore que pour ces deux-là, certains seconds rôles ont été particulièrement soignés, comme celui de James Franco en larron sympathique bien que doucement allumé ou Mark Wahlberg en ex-client charitable mais exaspérant de torsenuitude (comprendra qui aura vu le film). Ce genre de personnages jalonne le récit, et dynamise le film, qui n’est jamais ennuyeux. En revanche je passe plus rapidement sur celui de Ray Liotta, absolument inutile dans un rôle de parrain pas du tout effrayant.

Tina Fey – Steve Carell, bien assortis

D’ailleurs voilà le gros défaut de Crazy Night : tout le monde est gentil. Les deux flics ripoux qui poursuivent le couple ne semblent jamais vraiment dangereux et on sait pertinemment qu’il n’arrivera rien de bien grave aux héros jusqu’à la fin du film. Tout le monde est bienveillant, par exemple le personnage de Mark Wahlberg se fait détruire malencontreusement sa superbe voiture de course (entre autres) par le couple Foster, mais c’est pas grave c’est pour aider. James Franco, lui, qui détient la clé USB recherchée par les malfaiteurs la cède à nos amis sans qu’ils aient même à le demander et sans aucune contrepartie.

Bref tout cela reste très concon et simpliste du début à la fin, sans doute un héritage des précédents films de Shawn Levy, mais en revanche celui-ci ne donne jamais dans la grossièreté comme cela pouvait être le cas dans The Hangover, qu’on cite souvent pour parler de ce film. Pour ma part, je trouve que l’ambiance générale va plutôt lorgner vers un Kiss Kiss Bang Bang notamment lors de scènes d’actions bien maîtrisées, plutôt inventives et joyeusement décalées. La différence avec le film de Shane Black, c’est évidemment le scénario qui ne va jamais chercher très loin dans la construction de l’intrigue ; le tout se résoudra finalement en deux coups de cuillères à pot, mais on s’en fout, l’important c’est qu’on ait ri un peu, et c’est le cas.

On oubliera quand même bien vite ce petit film sympathique et amusant, et on conseillera plutôt un bon Kick-Ass toujours en salles, pour sortir des sentiers battus de la comédie américaine populaire et bêtasse.

Top 10 des reprises/remixes conceptuels

Le groupe Phoenix vient de réussir à remixer Grizzly Bear et Eno sans toucher une seule machine (cf. n°1 du top), je me suis donc mis en quête de tous ces gens qui ont cherché de nouveaux concepts pour faire de leurs covers quelque chose de vraiment unique, superbe ou atroce. De l’humour, de l’imagination, du concept, de la sottise ou du génie à l’état brut, vous trouverez de tout dans ce top 10 exceptionnel, tour d’horizon de tout ce qu’un artiste est capable de faire en réutilisant le travail des autres.

1. Phoenix remixe Canon In D de Brian Eno ET Foreground de Grizzly Bear
Le concept : Trouver deux morceaux aux mêmes harmonies et laisser à l’auditeur le soin de les mixer lui-même. (lancer les deux players l’un après l’autre avec n’importe quel intervalle, ça devrait de toute façon donner quelque chose de joli)


2. Air remixe 30 millions d’amis de Jack Arel
Le concept : Partir du générique TV le plus naze du monde et en faire un tube psychédélique

3. Delpech Mode reprend Shake the Disease de Depeche Mode ET Pour un Flirt de Michel Delpech
Le concept : La musique de Depeche Mode + les paroles de Michel Delpech + un clip débile
A voir aussi : Enjoy le Loir-et-Cher, Smells like Tata Yoyo

4. Dusto McNeato reprend Take On Me de A-ha
Le concept : Prendre un clip un peu kitsch des années 80 et remplacer les paroles habituelles par une description exhaustive (et hilarante) des images.
A voir aussi : Head over Heels, China girl

5. Michel Sardou et Laurent Wolf reprennent Etre une Femme de Michel Sardou
Le concept : Reprendre un vieux titre ringard de soi-même et tenter vainement d’en faire un tube dancefloor
Le lien : ici

6. Maxence Cyrin reprend Don’t you want me de Félix
Le concept : Transcrire au piano des classiques de la musique électronique et montrer au monde entier que les artistes électro sont d’abord des musiciens de génie.
A écouter aussi : D.A.N.C.E., Around the world, Windowlicker

7. One-T plagie Ma-Hra de Modry Efekt
Le concept : Piquer une dizaine de samples dans une chanson incroyable d’un groupe tchèque inconnu et en faire un album entier.
Le titre original :

Des extraits de l’album :

8. Alain Chabat et Gérard Darmon reprennent The Carioca de Vincent Youmans
Le concept : Faire un film et danser la Carioca vers la fin sans raison particulière.

9. Aphex Twin remixe Heroes de David Bowie ET Heroes de Philip Glass
Le concept : Trouver deux morceaux qui n’ont rien à voir mais qui ont le même titre, puis en faire un savant mélange.

10. Serge Gainsbourg reprend Mon légionnaire de Edith Piaf
Le concept : Etre génial.

Top 10 des artistes réjouissants en concert ces jours-ci

Je trouve que ce blog parle vraiment trop de cinéma alors que j’aime plein d’autres trucs dans la vie. La musique par exemple. Alors voilà une liste de concerts auxquels je serai ravi d’accompagner quiconque me le proposera.

1. Rodrigo y Gabriela
Le 19 novembre au Zénith de Paris.
Non la guitare acoustique n’est plus le seul apanage de Francis Cabrel et des Gipsy Kings. Rodrigo et Gabriela sont comme des dieux de la musique descendus sur Terre pour redonner ses lettres de noblesse à la vraie bonne guitare mexicaine comme on l’aime. Et en live ça doit envoyer du sacré bois. Voici un petit morceau pour s’en convaincre.

2. General Elektriks
Le 3 mai à l’Olympia.
Il ne doit plus rester beaucoup de places (le 3 mai c’est lundi) mais le dernier album de ce monsieur, Good City For Dreamers, est à mon avis ce qu’on a entendu de plus frais sur la scène française en 2009. Un album tellement riche qu’on peut l’écouter dix fois de suite sans jamais se lasser. Et en plus le clip de son tube, Take Bake The Instant, est vachement bien branlé.

3. Alan Parsons
Le 1 juin à l’Olympia.
Ben ouais, Alan Parsons c’est quand même une star, ce qui justifie presque le tarif prohibitif des places à l’Olympia (dans les 90 euros). Après avoir collaboré à des albums mythiques (Abbey Road des Beatles, Atom Heart Mother et surtout The Dark Side of The Moon des Pink Floyd), Alan Parsons a créé avec Eric Woolfson (décédé fin 2009 hélas) The Alan Parsons Project en 1976, groupe passionnant à qui l’on doit, outre le tube Eye in the sky, des morceaux super cool comme Sirius, Lucifer, I Robot ou Mammagamma. Et voilà Alan en concert tout seul le 1er juin à Bercy. Moi je dis que ça peut le faire.


Oui d’accord, ça a un peu vieilli, mais quand même j’aime bien

4. Air
Le 1er, 3 et 4 juin à la Cité de la musique et le 6 juin salle Pleyel.
Leur dernier album a beau être moins exceptionnel que les précédents, Air reste l’un de mes groupes préférés de tous les temps de l’univers. En plus leurs premières parties sont pas dégueu (Au Revoir Simone, Hot Rats, Jarvis Cocker). Ahh la femme d’argent…

5. Aphex Twin
Le 15 mai au Centre Pompidou de Metz.
Eh oui le pape de l’électro, le taulier de Warp Records, l’homme aux 1000 pseudos, ce galopin d’Aphex Twin vient en France pour un set exclusif, mais à Metz (Moselle), pour l’inauguration de leur Centre Pompidou. Voilà…
Consolons-nous en reécoutant une de ses oeuvres les plus illustres, Windowlicker, mise en images par le vidéaste psychopathe Chris Cuningham.

Le clip de Windowlicker, un des grands traumatismes visuels de mon adolescence

6. Supertramp
Le 18 octobre 2010 à Bercy.
Supertramp a 40 ans et a calé trente-cinq dates de tournée dont six en France. L’occasion d’écouter enfin « en vrai » ces chefs-d’oeuvres que sont The Logical Song, School, Goodbye Stranger, It’s raining again, Take the long way home et tout le reste. Mais sans son ex-chanteur jésuïforme Roger Hodgson, est-ce que ce sera aussi bien ? Sinon celui-ci tourne également en solo.

7. Roxy Music
Le 2 juillet au festival de Montreux.
Brian Ferry, chanteur pop farfelu + Brian Eno, expérimentateur génial + Phil Manzanera, Andy McKay et Paul Thomson, trois musiciens pas manchots = Roxy Music. Le groupe revient pour une tournée de dix dates, sans Eno, mais avec des chansons pas piquées de hannetons. L’une des grosses affiches du festival de Montreux qui, toujours aussi bien pourvu, accueillera également cette année des gens aussi divers et intéressants que Phil Collins, Jamie Lidell, Air, Brad Mehldau, Billy Idol, Massive Attack, Paco de Lucia, Keith Jarrett ou Mark Knopfler.

8. MGMT
Les 7, 8 et 9 octobre au Bataclan.
Il paraît que MGMT en live c’est du lourd, j’y crois à mort. Même si leur dernier album Congratulations ne m’a pas (encore) transporté, les trois concerts du mois d’octobre peuvent être de grands moments.

Le clip lyncho-cronenberggien de Flash Delirium, le dernier single de MGMT

9. Stevie Wonder
Le 1er juillet à Bercy.
A voir une fois dans sa vie. Enfin je dis ça en n’ayant jamais vu…

10. Muse
Les 11 et 12 juin au Stade de France.
Quoi qu’on en dise, c’est quand même le meilleur groupe de rock des années 2000. Curieux de voir ce que peut donner leur dernier album sur scène.

Life During Wartime, un Solondz soft mais brillant

Il y a un peu plus de dix ans par un doux matin de février sortait sur nos écrans l’un des films les plus trash de la fin du XXe siècle. Son titre : Happiness. Son créateur : Todd Solondz. Le réalisateur new-jerséyen plantait alors avec force les jalons de son cinéma sans concession, trois ans après Bienvenue à l’âge ingrat, son premier « vrai » long-métrage (Todd ayant renié son Fear, Anxiety & Depression de 1989). A l’époque, Solondz peignait sans aucune modération des portraits croisés de névropathes, suicidaires ou autres pédophiles avec un humour cinglant totalement décomplexé et immoral.

En 2001, Solondz s’érige véritablement comme une sorte de Woody Allen du côté obscur en sortant son chef-d’oeuvre selon moi, Storytelling. Avec la même verve sadicomique, il éclairait l’Amérique dans toute sa laideur, à travers une galerie de personnages incroyables, d’une humanité glaçante, qu’ils fussent victimes ou bourreaux, et jetait un regard clairvoyant mais impitoyable sur notre société.

Enfin en 2005, il commettait l’insurpassable Palindromes, incontestablement son film le plus sordide mais peut-être aussi le plus drôle, racontant les tribulations d’une jeune adolescente prénommée Avida, obsédée par son envie de devenir mère. Solondz y aborde des sujets aussi vastes que le suicide, l’avortement, la pédophilie, le fanatisme religieux, le handicap dans un road movie au ton unique, à l’humour glaçant et jubilatoire. Pour bien situer l’esprit du film, rien de tel qu’un petit extrait (de 20 minutes) : Avida qui se fait désormais appeler Henrietta, ayant fugué de chez ses parents, trouve refuge chez une dénommée Mama Sunshine, qui lui offre une place dans son centre d’hébergement pour enfants en difficulté, handicapés pour la plupart. L’occasion pour Avida/Henrietta de faire de belles rencontres et pour le spectateur d’assister à l’une des scènes de repas les plus déconcertantes de l’histoire du cinéma.

Palindromes : Todd Solondz dans toute sa splendeur

C’est donc là qu’on avait laissé Todd Solondz, et voilà maintenant Life During Wartime, film déjà conceptuel par le fait que ses personnages sont les mêmes que ceux d’Happiness, mais joués par des acteurs différents et dans un contexte spatiotemporel également différent (chacun a vieilli mais pas du même nombre d’années). Je précise tout de suite qu’il vaut mieux avoir vu Happiness pour comprendre ce qu’il se passe dans Life During Wartime : le sujet de ce nouveau film étant principalement la rédemption et le pardon, avoir vu clairement ce qu’il s’est passé précédemment aide beaucoup à comprendre la situation.

Pour résumer, l’histoire tourne autour de trois personnages féminins pour qui la vie familiale a globalement été un fiasco. Joy dont un des prétendants s’est suicidé et dont le mari actuel lutte contre ses addictions aux drogues, vols et obsessions sexuelles arrive à Miami pour faire le point auprès de ses deux soeurs, Helen, actrice hollywoodienne solitaire et névrosée et Trish, qui tente de reconstruire un couple après l’arrestation du père de ses enfants pour pédophilie. Celui-ci sort d’ailleurs de prison au début du film, et suscite toutes les interrogations de son fils cadet (le petit garçon de l’affiche) qui ne l’a pas connu et le croit mort.

L’esprit de Todd Solondz est toujours là : personnages névrosés (la fille de Trish emprunte du Prozac dans la trousse à pharmacie de sa maman), humour grinçant, notamment lors des scènes entre parents et enfants, sujets sensibles (pédophilie (encore), religion). Mais ce qui surprend cette fois, c’est le ton presque modéré voire mainstream qu’emploie le film. Beaucoup moins jusqueboutiste que ses prédecesseurs, Life During Wartime fait la part belle à la suggestion et l’introspection. Le film est pour sa plus grande partie méditatif et s’arrête sur ses personnages, les met en face de leur réalité, et les fait s’interroger sur leur condition.

Entre les deux épisodes, un changement de cap qui se voit aussi sur l’affiche

Les habitués de Solondz (dont je suis) seront un peu déroutés par ce revirement. S’est-il assagi ou a-t-il plié à la pression des studios ? Je n’en sais rien, mais cette nouvelle tonalité ne rend pas son film moins intéressant pour autant. Il lui reste une âme, une profondeur, et toujours une liberté de forme et de ton que l’on voit rarement au cinéma par les temps qui courent et qui, à l’image du dernier film des Coen par exemple, invite à revoir le film une deuxième fois pour en saisir tous les tenants et aboutissants.

Et encore une fois Solondz prouve qu’il sait s’entourer. Allison Janney, dont on avait déjà pu apercevoir tout le talent récemment dans Away we go, est absolument stupéfiante dans le rôle de Trish, mère essayant tant bien que mal de composer avec son passé, ses enfants et son nouvel amant. Ciaran Hinds, qui reprend le rôle du père pédophile rendu presque sympathique par Dylan Baker dans Happiness, compose ici un personnage sinistre mais déroutant, inquiétant mais lui-même désorienté face à une réalité à laquelle il ne peut échapper. Sa rencontre avec le personnage de Charlotte Rampling est d’ailleurs l’un des grands moments du film. Quant à Paul Reubens, sa composition d’un fantôme maladif et obsédé sexuel revenant d’entre les morts pour hanter Joy est macabrement géniale, bien loin du personnage de Pee-Wee Hermann qui l’avait rendu célèbre dans les émissions et le film du même nom.

Allison Janney, ma nouvelle actrice préférée

Après les surprises Mammuth, Kick-Ass ou L’épine dans le coeur (dans des styles très différents), Life During Wartime est donc une excellente conclusion à ce mois d’avril très riche en cinéma. Vive le vrai cinéma indépendant. God bless America.