Critique : Piranha 3D, de Alexandre Aja

Jake (Steven R. McQueen) habite dans une région de rêve, au bord d’un lac paradisiaque. Quand un réalisateur de porno (Jerry O’Connell) l’invite à le rejoindre sur son yacht rempli de jeunes femmes à la plastique parfaite pour les guider sur le lac, il profite de l’occasion pour sortir de son quotidien morose de post-ado timide et emprunté. Manque de pot, des piranhas sortis de nulle part bouffent tout sur leur passage.

Tel est le pitch plutôt banal de Piranha. La façon dont il a été traité par Alexandre Aja l’est moins. Car comme une sorte de Pasolini des temps modernes, le frenchy a visiblement choisi de scinder son film en deux parties distinctes, le cycle du nichon et le cycle de la viande rouge. Le prétexte du tournage de film porno est l’occasion de montrer à chaque plan une paire de gros seins comprimés dans un soutif rouge pétant ou ballottant au ralenti dans l’eau bleue du lagon, et cela pendant une bonne demi-heure. Toujours avec une certaine distanciation humoristique plutôt appréciable.

Dans la seconde partie du film en revanche, ce côté charnel est totalement délaissé pour laisser place à des scènes bien plus trash. Et là tout est prétexte à du gore bien craspouille, non seulement les piranhas (particulièrement voraces) s’en donnent à coeur joie, mais de tristes individus ne ménageant pas leurs congénères pour sauver leur peau, sans oublier les éléments du décors invraisemblablement dangereux sont autant de dommages collatéraux bien ballots et bien rigolos que l’on nous donne à voir avec une certaine jouissance (mourir coupé en deux par un câble électrique c’est quand même pas de chance). Zéro suspense, zéro angoisse, que du gore, rien n’est suggéré, tout est montré, et au bout d’un certain moment on ne compte plus les corps moitié-chair moitié-squelette ressortis de l’eau par des sauveteurs effarés.

Un piranha dont l’espèce est censée avoir disparu il y a 2 millions d’années !! 
(à lire avec la voix d’Emmett Brown)

Ces deux parties distinctes s’emboîtent finalement plutôt bien mais le ton du film a tendance à virer premier degré au fil des minutes. La construction très classique de l’intrigue n’est pas là pour apporter un peu de fantaisie et sans le personnage du réalisateur porno ou celui du scientifique échevelé joué admirablement par Christopher Lloyd on pourrait très bien considérer le scénario de Piranha comme celui du pire film de l’année. Ce qui sauve le film, c’est cette outrance, ce culot qui fait que l’on ne craint pas de montrer en gros plan un poisson très méchant ne faire qu’une bouchée d’un gros kiki esseulé, ou de citer directement Braindead en déchiquetant du piranha avec une hélice de hors-bord.

Du point de vue visuel, c’est plutôt laid, disons-le. Les piranhas sont assez mal synthétisés et les scènes de festin sont assez troubles pour qu’on ne puisse pas voir la faiblesse technique des images. Pour ce qui est de la 3D, elle est absolument inutile. On remarque bien les tentatives du réalisateur d’incorporer des éléments troidéisables dans ses séquences, mais ce n’est guère convaincant et les gouttes d’un vomi craché en contre plongée, a priori le clou du spectacle, n’arrivent même pas à atteindre le dixième du chemin parcouru par la célèbre fraise Tagada d’avant-film.

Au delà de ses quelques guests sympas (Richard Dreyfuss, Elisabeth Shue, Christopher Lloyd, Ving Rhames, Eli Roth), Piranha brille donc par son sens de l’humour et du gore sans concession. Beaucoup moins par son scénario et sa réalisation technique. Avis aux amateurs.

Critique : Poetry, de Lee Chang-Dong

Poetry, c’est la caution cannoise de la semaine, forte de son prix du scénario remis par Monsieur Tim Burton au dernier festival. Alors malgré une belle fournée de nouveaux films cette semaine (Le bruit des glaçons, Salt, Ondine, 600 kilos d’or pur, Gentlemen Broncos), se réserver 2h20 pour aller voir le film de Lee Chang-Dong ne peut pas être une mauvaise idée.

Pitch : A 65 ans, tout va mal pour Mija (Yun Junghee). Elle perd la mémoire, son petit-fils dont elle a la charge est accusé de viol, et même si un arrangement peut être trouvé avec la famille de la victime, elle doit trouver une grosse somme d’argent en peu de temps pour la dédommager. Parallèlement elle prend des cours de poésie, assiste à des lectures du soir, et tente d’écrire, en vain.

En voilà un pitch bien garni (et encore j’ai pas tout dit). Et justement, Poetry aurait pu être admirable si son scénario n’était pas aussi trapu. De péripétie en péripétie, autour de la protagoniste principale, les couches scénaristiques s’amoncellent, épaississent le récit et finissent par le rendre indigent.

Des événements, des rebondissements, il y en a, mais ils se diluent dans chaque élément ajouté à la trame principale. Les différents segments du film ne cessent de s’entrecouper, installant un rythme soutenu qui finit paradoxalement par ennuyer. On n’a jamais l’occasion d’entrer vraiment dans une scène, de la ressentir, malgré les 140 minutes d’images. 

 

On pourrait comparer ce film à l’excellent Mother, de Bong Joon-Ho. Mother dressait aussi le portrait d’une femme au bord du gouffre, une maman tentant d’innocenter son fils, accusé de meurtre. Cette idée fixe était un fil rouge tout trouvé au film et le rendait haletant. Dans Poetry, c’est très différent, Mija doit trouver beaucoup d’argent mais cela ne semble pas lui importer, elle virevolte, gamberge, mange des pommes, écrit des mots dans un carnet, va voir le docteur, travaille un peu, discute avec des passants, va à des cours de poésie. Finalement le film est comme son héroïne, une allégorie de la frivolité, du dilettantisme, qui vit moyennement la transposition à l’écran. Un tel parti pris aurait pu être intéressant si le vrai sujet était la maladie d’Alzheimer, mais il n’est pas que cela (d’ailleurs il est traité très sommairement), et c’est un problème.

Le sujet, c’est la poésie, et il est vrai qu’elle est évoquée de bout en bout mais Lee Chang-Dong n’arrive jamais à le traiter qu’en surface. Par exemple, les longues scènes de déclamations de poésie auxquelles assiste Mija, au lieu d’intensifier la narration, restent au stade de l’anecdote et finissent par ennuyer, faute de lien avec le reste de l’histoire.

Malgré ses défauts, Poetry trouve à offrir quelques moments de grâce, notamment par les rencontres que fait Mija, qui donnent lieu à de belles séquences dialoguées, on l’on commence à sentir de la vie dans le cinéma de Lee Chang-Dong, celle qui manque à toutes ces saynètes trop dispersées pour toucher. Poetry reste un film infiniment délicat et humain, parfois touchant, et il lui manquerait peu de choses pour être un grand film.

Critique : Le bruit des glaçons, un Blier honnête

Bertrand Blier est mon idole. Bertrand Blier est une légende. En tout cas il est l’un des rares auteurs à avoir écrit et réalisé quatre chefs d’oeuvre d’affilée (Les Valseuses, Calmos, Préparez vos mouchoirs et Buffet froid de 1974 à 1979). Depuis lors, sa filmographie est apparue plus hétérogène, montrant ses capacités égales à endormir toute une salle avec des films-assommoirs (Trop Belle pour Toi, Beau-Père) et à revenir aux sources en un come-back retentissant (Tenue de Soirée). Mais depuis une vingtaine d’années, si l’on excepte le génial Les Acteurs (qui n’est pas exempt de toute critique néanmoins), le cinéma et la verve de Blier tendent à s’essouffler (Combien tu m’aimes), voire à s’auto-caricaturer (Les Côtelettes), malgré un retour à l’esprit caustique et absurde des premiers films.

Le bruit des glaçons est incontestablement un film bliéen (c’est comme ça qu’on dit ?). Dans les mots, on retrouve cet éternel esprit franchouillard, cette faconde commune à tous les personnages, ces dialogues à la fois vulgaires et raffinés. Dans les images, on retrouve cette mise en scène précise, ce sens du timing, de l’ellipse qui claque. Mais c’est à double-tranchant et s’il faut trouver un reproche, c’est là qu’il se trouve. Alors que dans les années 70, ses films était une véritable bouffée d’oxygène, désormais tout ce qu’on y voit apparaît comme une référence. Blier maîtrise ses fondamentaux mais en abuse parfois, qu’ils soient puisés de son propre cinéma ou de celui des autres (Kubrick ?). Son usage d’une foule de procédés un peu vieillots alourdissent son récit et nuisent à la fluidité de l’ensemble (Jean Dujardin s’adressant au spectateur, flash-backs inutiles, mises en abyme un peu foireuses).

Cependant, l’essentiel de Blier est là : les dialogues. Comme d’habitude, on a droit à un festival de répliques brutales et cinglantes, et elles sont dites avec talent, notamment par Albert Dupontel, dont on ne pouvait rêver meilleur prestation dans le rôle du cancer. Jean Dujardin, quand à lui, s’en tire plutôt honnêtement mais son élocution a quelque chose d’ordinaire qui ne peut soutenir la comparaison avec ses illustres prédécesseurs (Depardieu, Dewaere, Marielle, Serrault). Par ailleurs, ce film n’est pas qu’un film d’hommes. La vraie histoire du film est celle de le relation entre Dujardin et sa domestique jouée par Anne Alvaro. C’est elle qui sert de fil rouge au film et qui lui donne une couleur presque romantique au final, ce que ne laissait pas du tout entendre la bande-annonce. A noter aussi l’excellent second rôle de Myriam Boyer (maman de Clovis Cornillac), dans une partition que l’on a pas l’habitude de voir chez Blier, en tout cas pas au féminin.

Pour résumer Le Bruit des Glaçons, on pourrait dire qu’il est représentatif de la filmographie de son réalisateur. Drôle souvent notamment lors de séquences de dialogues sans artifice entre ses protagonistes principaux, poussif parfois lorsqu’il se prend à vouloir expliciter l’absurde en se perdant en flashbacks, mais finalement jamais à court d’idées. Voilà pourquoi j’attends avec impatience le prochain.

Critique : The Expendables, ça tient la route

Depuis le temps qu’on les attend, les voici enfin ces fameux « expendables », littéralement, ceux dont on peut se passer. Malheureusement, on en a perdu quelques-uns en route, comme Wesley Snipes (en prison), Steven Seagal (bisbille avec le producteur), et surtout Jean-Claude Van Damme (pas assez de présence à l’écran pour son rôle comparé à son standing, selon lui). D’autres exemples ici.

Malgré cette petite déception, The Expendables reste le must-see de la semaine, ne serait-ce que pour la présence de Sylvester Stallone, des deux côtés de la caméra. N’ayant vu qu’un seul de ses films comme acteur (Demolition Man, dont je garde un bon souvenir), je n’ai pas hésité une seconde et me suis rendu avec enthousiasme dans le cinéma le plus proche pour enfin, savoir.

Et dès le générique, j’ai compris de quoi il retournait : typo grasse et carrée en texture « acier inoxydable », musique badaboumesque, puis arrivée de grosses motos pétaradantes, tout sela sent la couille à plein nez, et assez fort. Car oui The Expendables est un film de mecs, de vrais.

Chez Stallone les femmes n’ont leur place que comme prétexte à l’action. A ma gauche nous avons la fille du dictateur mexicain (ou apparenté) de service (joué par le Angel Batista de Dexter), qui est gentille, elle, pas comme son affreux papa, et qui veut juste le bien de son peuple, ce qui émeut assez le personnage de Stallone. A ma droite, la girlfriend de Christmas (Jason Statham), battue par son nouveau keum, nous vaudra une bagarre vengeresse, seul contre toute une équipe comme au temps du Transporteur, désignant tout net Statham comme une sorte de Clint Eastwood des temps modernes, et conclue par un superbe « La prochaine fois ce sera tes couilles » – je ne dévoile pas l’objet que Jason vient de poignarder rageusement à ce moment précis (indice : l’action se déroule sur un terrain de basket).

Voilà pour ce qui est des gonzesses. Du côté des gars, tout est bien cadenassé également, chacun a sa propre fonction dans le film et s’en acquitte à merveille. Stallone en chef de bande est crédible, sa rivalité connivente avec Statham est plutôt savoureuse, et leurs registres différents les rend complémentaires. Jet Li et sa petite taille apportent la touche running-gag adéquate, Dolph Lundgren hérite du rôle de traître, tandis que Mickey Rourke s’adonne à la philosophie, passant tout le film à donner des leçons de vieux sage, faire des tatouages à ses potes et peindre des fleurs sur une guitare en pleurnichant. Pour ce qui est de Bruce Willis, on le voit à peine cinq minutes, partagées avec un autre guest de choc pour une scène plutôt rigolote (mais pas plus). Les autres on s’en fout, on sait pas qui c’est.

Statham – Stallone : un duo qui tue (rires)

A part ça, disons-le, l’intrigue de The Expendables est assez nulle, une vague histoire d’ex-agent de la CIA cupide et impitoyable qu’il faut éliminer. Mais peu importe car le vrai film réside dans ses scènes d’action, évidemment. Et à ce petit jeu, Stallone est assez bon. Sa mise en scène est impeccable, parfois audacieuse, se laissant aller par moments à de chaleureux élans gores, du plus bel effet. Dans son domaine, Stallone maîtrise finalement aussi bien son sujet que des spécialistes comme John Woo ou Paul Greengrass.

Jet Li est petit, et il en souffre

Pour ce qui est des dialogues par contre, c’est la grosse faiblesse du film, et il faut tout le talent de Mickey Rourke pour empêcher une scène de conversation mélodramatique de friser le grotesque. Heureusement, ce genre d’effusions se font rares et sont oubliées dix minutes plus tard après une bonne grosse tuerie. Cependant, un deuxième reproche que l’on pourrait faire à Stallone est l’invincibilité totale de ses protagonistes. Là où il aurait eu l’occasion de suggérer une certaine fragilité de ses héros laissés pour compte, il préfère en faire des machines à tuer invulnérables. Jamais touchés, jamais en danger, jamais morts.

En tout cas, on ressort plutôt réjoui de ce film de pur divertissement, pas déplaisant pour qui n’en attend que de belles fusillades et des dialogues bien connauds mais parfois rigolos.

Le revival du minimalisme

Depuis quelques mois, des graphistes du monde entier se sont engouffrés dans une brèche ouverte par un certain Albert Exergian. En novembre dernier, l’artiste autrichien publiait sur son blog une série de posters adaptés de l’univers de plusieurs séries TV. Pour chacune, il réussit à capter un élément-clé et à créer un poster résumant parfaitement la série. Le minimalisme appliqué à la culture populaire, une idée brillante, assez pour que tout le monde se l’approprie.

Visiblement inspiré par les travaux d’Exergian, un autre graphiste répondant au nom d’Hexagonall transpose le concept au cinéma et avec nettement moins de talent et d’intelligence, publie une série d’affiches inspirées de films cultes. Contrairement à son prédecesseur, ces travaux relèvent plus de l’imposture que du génie, voire même du plagiat, l’ami Albert s’est d’ailleurs fendu lui-même d’une petite mise au point sur son blog, en image.

Et quand un autre jean-foutre arrive pour nous présenter ses affiches follement originales, on se dit que finalement, le minimalisme c’est chiant. Mais juste pour rigoler, jetons un oeil à ces créations pas terribles signées Pedro Vidotto…

En revanche, des gens plus inspirés réussissent à sublimer le principe, comme un certain Pascal Monaco, qui transforme l’essai en trip artistico-ludique réunissant 35 évocations de films dans une vidéo de deux minutes assez bien foutue.

Le concept s’étend aussi à d’autres domaines. Par exemple Ty Lettau s’amuse à réviser les pochettes mythiques de Kiss, AC/DC ou autres Pink Floyd pour en tirer de sympatiques pastiches. Mais pas de quoi se relever la nuit.

Les geekos du monde entier ne sont pas en reste. Pas question que nos idoles les super-héros soient oubliées et il n’a pas fallu longtemps pour que le site Screen Rant se charge d’y aller de son plagiat, appliqué à nos héros favoris. Ca donne quoi ? Une série de posters rigolos tout plein mais toujours à cent lieues des affiches d’Exergian.

Enfin on peut saluer la créativité de 10 minutes à perdre et Supergazol qui tout en surfant sur la vague, gardent l’esprit lol en proposant leur vision minimaliste et fun de quelques personnages de jeux vidéos.

Le jeu c’est de retrouver qui ça représente (le premier c’est Mario). Marrant non ?

Et pour les plus geeks d’entre nous, un spécial Street Fighter

Tout ça pour dire que le buzz est déjà fortement érodé. Alors quand Canal+, toujours au top de la hype, débarque avec une nouvelle campagne de pub basée sur trois affiches pas top, chacune agréémenté d’un jeu de mots laid, on a un peu envie de dire merde.

J’en appelle donc aux sociologues de l’art (si ça existe) pour répondre à cette question « Où est passé la créativité dans ce monde de brutes ? ».