Critique : Le bruit des glaçons, un Blier honnête

Bertrand Blier est mon idole. Bertrand Blier est une légende. En tout cas il est l’un des rares auteurs à avoir écrit et réalisé quatre chefs d’oeuvre d’affilée (Les Valseuses, Calmos, Préparez vos mouchoirs et Buffet froid de 1974 à 1979). Depuis lors, sa filmographie est apparue plus hétérogène, montrant ses capacités égales à endormir toute une salle avec des films-assommoirs (Trop Belle pour Toi, Beau-Père) et à revenir aux sources en un come-back retentissant (Tenue de Soirée). Mais depuis une vingtaine d’années, si l’on excepte le génial Les Acteurs (qui n’est pas exempt de toute critique néanmoins), le cinéma et la verve de Blier tendent à s’essouffler (Combien tu m’aimes), voire à s’auto-caricaturer (Les Côtelettes), malgré un retour à l’esprit caustique et absurde des premiers films.

Le bruit des glaçons est incontestablement un film bliéen (c’est comme ça qu’on dit ?). Dans les mots, on retrouve cet éternel esprit franchouillard, cette faconde commune à tous les personnages, ces dialogues à la fois vulgaires et raffinés. Dans les images, on retrouve cette mise en scène précise, ce sens du timing, de l’ellipse qui claque. Mais c’est à double-tranchant et s’il faut trouver un reproche, c’est là qu’il se trouve. Alors que dans les années 70, ses films était une véritable bouffée d’oxygène, désormais tout ce qu’on y voit apparaît comme une référence. Blier maîtrise ses fondamentaux mais en abuse parfois, qu’ils soient puisés de son propre cinéma ou de celui des autres (Kubrick ?). Son usage d’une foule de procédés un peu vieillots alourdissent son récit et nuisent à la fluidité de l’ensemble (Jean Dujardin s’adressant au spectateur, flash-backs inutiles, mises en abyme un peu foireuses).

Cependant, l’essentiel de Blier est là : les dialogues. Comme d’habitude, on a droit à un festival de répliques brutales et cinglantes, et elles sont dites avec talent, notamment par Albert Dupontel, dont on ne pouvait rêver meilleur prestation dans le rôle du cancer. Jean Dujardin, quand à lui, s’en tire plutôt honnêtement mais son élocution a quelque chose d’ordinaire qui ne peut soutenir la comparaison avec ses illustres prédécesseurs (Depardieu, Dewaere, Marielle, Serrault). Par ailleurs, ce film n’est pas qu’un film d’hommes. La vraie histoire du film est celle de le relation entre Dujardin et sa domestique jouée par Anne Alvaro. C’est elle qui sert de fil rouge au film et qui lui donne une couleur presque romantique au final, ce que ne laissait pas du tout entendre la bande-annonce. A noter aussi l’excellent second rôle de Myriam Boyer (maman de Clovis Cornillac), dans une partition que l’on a pas l’habitude de voir chez Blier, en tout cas pas au féminin.

Pour résumer Le Bruit des Glaçons, on pourrait dire qu’il est représentatif de la filmographie de son réalisateur. Drôle souvent notamment lors de séquences de dialogues sans artifice entre ses protagonistes principaux, poussif parfois lorsqu’il se prend à vouloir expliciter l’absurde en se perdant en flashbacks, mais finalement jamais à court d’idées. Voilà pourquoi j’attends avec impatience le prochain.

Des chansons qui se ressemblent – Take 2

Parfois, il arrive que j’aie une tendresse particulière pour un de mes propres billets de blog. C’est le cas de celui-là, qui est le quatrième moins lu depuis le démarrage de ce blog (je n’ose révéler la donnée chiffrée, qui est assez terrifiante). J’ai donc décidé de le refaire, presque à l’identique, ce qui, en plus de lui donner une deuxième chance, constitue un mise en abyme tout à fait astucieuse puisque je parle de chansons qui se ressemblent dans deux articles qui se ressemblent, procédé que l’on peut qualifier d’assez sensationnel. N’est-ce pas ?

L’autre jour, en écoutant une compil Cinevox, je suis tombé sur un morceau étrangement familier. Je me suis dit « ce morceau est très connu, mais oui c’est Psyché Rock de Pierre Henry », m’étonnant qu’il puisse apparaître dans un album panachant des BO de films italiens des seventies (telles que celles-ci). Il n’en était rien puisqu’il s’agissait de Gli Angeli del 2000 de Mario Molino. Il se trouve que ce Molino, avant de faire fortune dans les plats cuisinés déshydratés*, a composé ce titre en 1969 alors que Pierre Henry et son mythique Psyché Rock étaient déjà écoutables en 1967.

Mais là où c’est drôle, c’est que l’année 1969 est également celle de la sortie de Z, le film de Costa-Gavras, et là encore la musique est étrangement similaire alors qu’elle est censée avoir été composée par Mikis Theodorakis, compositeur grec de son état. De la même manière on constate que la musique du générique de Futurama, excellente série de Matt Groening, emprunte les mêmes harmonies et les mêmes sons de cloches excentriques, dans une version remixée. Pour info, elle est l’oeuvre du compositeur Christopher Tyng (inconnu au bataillon).

Après quelques recherches, il se trouve que chacun des plagiaires revendique plus ou moins la paternité de Psyche Rock par rapport à leurs oeuvres respectives. Mais, fait plus étonnant, il semblerait que Pierre Henry ne soit pas sur la branche la plus basse de cet arbre musicogénéalogique puisque son morceau serait librement inspiré de Louie Louie, que les Kingsmen sortirent en 1963. C’est fascinant.

* non je blague, il s’agit bien évidemment de Bolino

Critique : The Expendables, ça tient la route

Depuis le temps qu’on les attend, les voici enfin ces fameux « expendables », littéralement, ceux dont on peut se passer. Malheureusement, on en a perdu quelques-uns en route, comme Wesley Snipes (en prison), Steven Seagal (bisbille avec le producteur), et surtout Jean-Claude Van Damme (pas assez de présence à l’écran pour son rôle comparé à son standing, selon lui). D’autres exemples ici.

Malgré cette petite déception, The Expendables reste le must-see de la semaine, ne serait-ce que pour la présence de Sylvester Stallone, des deux côtés de la caméra. N’ayant vu qu’un seul de ses films comme acteur (Demolition Man, dont je garde un bon souvenir), je n’ai pas hésité une seconde et me suis rendu avec enthousiasme dans le cinéma le plus proche pour enfin, savoir.

Et dès le générique, j’ai compris de quoi il retournait : typo grasse et carrée en texture « acier inoxydable », musique badaboumesque, puis arrivée de grosses motos pétaradantes, tout sela sent la couille à plein nez, et assez fort. Car oui The Expendables est un film de mecs, de vrais.

Chez Stallone les femmes n’ont leur place que comme prétexte à l’action. A ma gauche nous avons la fille du dictateur mexicain (ou apparenté) de service (joué par le Angel Batista de Dexter), qui est gentille, elle, pas comme son affreux papa, et qui veut juste le bien de son peuple, ce qui émeut assez le personnage de Stallone. A ma droite, la girlfriend de Christmas (Jason Statham), battue par son nouveau keum, nous vaudra une bagarre vengeresse, seul contre toute une équipe comme au temps du Transporteur, désignant tout net Statham comme une sorte de Clint Eastwood des temps modernes, et conclue par un superbe « La prochaine fois ce sera tes couilles » – je ne dévoile pas l’objet que Jason vient de poignarder rageusement à ce moment précis (indice : l’action se déroule sur un terrain de basket).

Voilà pour ce qui est des gonzesses. Du côté des gars, tout est bien cadenassé également, chacun a sa propre fonction dans le film et s’en acquitte à merveille. Stallone en chef de bande est crédible, sa rivalité connivente avec Statham est plutôt savoureuse, et leurs registres différents les rend complémentaires. Jet Li et sa petite taille apportent la touche running-gag adéquate, Dolph Lundgren hérite du rôle de traître, tandis que Mickey Rourke s’adonne à la philosophie, passant tout le film à donner des leçons de vieux sage, faire des tatouages à ses potes et peindre des fleurs sur une guitare en pleurnichant. Pour ce qui est de Bruce Willis, on le voit à peine cinq minutes, partagées avec un autre guest de choc pour une scène plutôt rigolote (mais pas plus). Les autres on s’en fout, on sait pas qui c’est.

Statham – Stallone : un duo qui tue (rires)

A part ça, disons-le, l’intrigue de The Expendables est assez nulle, une vague histoire d’ex-agent de la CIA cupide et impitoyable qu’il faut éliminer. Mais peu importe car le vrai film réside dans ses scènes d’action, évidemment. Et à ce petit jeu, Stallone est assez bon. Sa mise en scène est impeccable, parfois audacieuse, se laissant aller par moments à de chaleureux élans gores, du plus bel effet. Dans son domaine, Stallone maîtrise finalement aussi bien son sujet que des spécialistes comme John Woo ou Paul Greengrass.

Jet Li est petit, et il en souffre

Pour ce qui est des dialogues par contre, c’est la grosse faiblesse du film, et il faut tout le talent de Mickey Rourke pour empêcher une scène de conversation mélodramatique de friser le grotesque. Heureusement, ce genre d’effusions se font rares et sont oubliées dix minutes plus tard après une bonne grosse tuerie. Cependant, un deuxième reproche que l’on pourrait faire à Stallone est l’invincibilité totale de ses protagonistes. Là où il aurait eu l’occasion de suggérer une certaine fragilité de ses héros laissés pour compte, il préfère en faire des machines à tuer invulnérables. Jamais touchés, jamais en danger, jamais morts.

En tout cas, on ressort plutôt réjoui de ce film de pur divertissement, pas déplaisant pour qui n’en attend que de belles fusillades et des dialogues bien connauds mais parfois rigolos.

Le revival du minimalisme

Depuis quelques mois, des graphistes du monde entier se sont engouffrés dans une brèche ouverte par un certain Albert Exergian. En novembre dernier, l’artiste autrichien publiait sur son blog une série de posters adaptés de l’univers de plusieurs séries TV. Pour chacune, il réussit à capter un élément-clé et à créer un poster résumant parfaitement la série. Le minimalisme appliqué à la culture populaire, une idée brillante, assez pour que tout le monde se l’approprie.

Visiblement inspiré par les travaux d’Exergian, un autre graphiste répondant au nom d’Hexagonall transpose le concept au cinéma et avec nettement moins de talent et d’intelligence, publie une série d’affiches inspirées de films cultes. Contrairement à son prédecesseur, ces travaux relèvent plus de l’imposture que du génie, voire même du plagiat, l’ami Albert s’est d’ailleurs fendu lui-même d’une petite mise au point sur son blog, en image.

Et quand un autre jean-foutre arrive pour nous présenter ses affiches follement originales, on se dit que finalement, le minimalisme c’est chiant. Mais juste pour rigoler, jetons un oeil à ces créations pas terribles signées Pedro Vidotto…

En revanche, des gens plus inspirés réussissent à sublimer le principe, comme un certain Pascal Monaco, qui transforme l’essai en trip artistico-ludique réunissant 35 évocations de films dans une vidéo de deux minutes assez bien foutue.

Le concept s’étend aussi à d’autres domaines. Par exemple Ty Lettau s’amuse à réviser les pochettes mythiques de Kiss, AC/DC ou autres Pink Floyd pour en tirer de sympatiques pastiches. Mais pas de quoi se relever la nuit.

Les geekos du monde entier ne sont pas en reste. Pas question que nos idoles les super-héros soient oubliées et il n’a pas fallu longtemps pour que le site Screen Rant se charge d’y aller de son plagiat, appliqué à nos héros favoris. Ca donne quoi ? Une série de posters rigolos tout plein mais toujours à cent lieues des affiches d’Exergian.

Enfin on peut saluer la créativité de 10 minutes à perdre et Supergazol qui tout en surfant sur la vague, gardent l’esprit lol en proposant leur vision minimaliste et fun de quelques personnages de jeux vidéos.

Le jeu c’est de retrouver qui ça représente (le premier c’est Mario). Marrant non ?

Et pour les plus geeks d’entre nous, un spécial Street Fighter

Tout ça pour dire que le buzz est déjà fortement érodé. Alors quand Canal+, toujours au top de la hype, débarque avec une nouvelle campagne de pub basée sur trois affiches pas top, chacune agréémenté d’un jeu de mots laid, on a un peu envie de dire merde.

J’en appelle donc aux sociologues de l’art (si ça existe) pour répondre à cette question « Où est passé la créativité dans ce monde de brutes ? ».

Critique : Night and Day, une comédie sympa mais flemmarde

Des Night and Day, il en sort régulièrement. Un Night and Day, c’est une comédie sur fond d’espionnage ou de milieux mafieux où un ou deux protagonistes n’ayant rien demandé à personne se retrouvent embringués dans d’incroyables pérégrinations, fusillades ou autres courses poursuites. La dernière production notable du genre était Crazy Night dont j’avais émis une opinon plutôt favorable ici-même.

Mais ce Night and Day-là est un peu différent des autres. D’abord il y a Tom Cruise. Ensuite il y a Cameron Diaz. Et enfin il y a James Mangold (Identity, 3h10 pour Yuma, Walk the line). De quoi pouvoir espérer qu’on sorte un peu des sentiers battus… Ben non.

June (Cameron Diaz) voyage dans le même avion que Roy (Tom Cruise), mais après un bref passage aux toilettes elle apprend horrifiée que Roy vient de tuer tout le monde, pilotes inclus. Débute alors une incroyable cavale des deux néo-acolytes, poursuivis de toutes parts avant même que June ne comprenne quoi que ce soit de la situation.

Au début, c’est drôle, notamment grâce au personnage de Tom Cruise, tueur impitoyable et décontracté. Sa façon de dézinguer un à un tous les méchants, d’atterrir toujours au bon endroit et de maîtriser toutes les situations avec une sérénité à toute épreuve est assez jouissive et apporte un côté burlesque et second degré plutôt sympathique. Son opposition avec le personnage de Cameron Diaz, en crise de nerfs continue pendant une bonne demi-heure de film, parvient à nous tenir en haleine un bon moment. On retrouve à certains moments du film l’esprit de True Lies, modèle du genre.

Mais le scénario ne suit pas. L’intrigue, cousue de fil blanc et sans aucune surprise, ne peut pas compter sur les scènes d’actions pour relever le niveau général, dynamiques mais trop invraisemblables pour produire la moindre excitation. Quand à l’humour, il est rarement au rendez-vous quand il ne s’appuie pas sur la performance des deux acteurs principaux, et ne va jamais assez loin dans le burlesque pour contrebalancer l’abracadabrantesquerie de l’ensemble. On sait bien vite comment tout cela va finir : personne ne va mourir sauf éventuellement quelques vilains. A noter les seconds rôles tout à fait improductifs de Peter Sarsgaard et Paul Dano.

Ajoutons à cela quelques failles scénaristiques et on obtient un Night and Day tout ce qu’il y a de plus anecdotique, rigolo mais un peu faible, agréable mais un peu trop fainéant. On attendra encore un peu pour le retour en force de Tom Cruise (et peut-être encore plus pour Cameron).