Poetry, c’est la caution cannoise de la semaine, forte de son prix du scénario remis par Monsieur Tim Burton au dernier festival. Alors malgré une belle fournée de nouveaux films cette semaine (Le bruit des glaçons, Salt, Ondine, 600 kilos d’or pur, Gentlemen Broncos), se réserver 2h20 pour aller voir le film de Lee Chang-Dong ne peut pas être une mauvaise idée.
Pitch : A 65 ans, tout va mal pour Mija (Yun Junghee). Elle perd la mémoire, son petit-fils dont elle a la charge est accusé de viol, et même si un arrangement peut être trouvé avec la famille de la victime, elle doit trouver une grosse somme d’argent en peu de temps pour la dédommager. Parallèlement elle prend des cours de poésie, assiste à des lectures du soir, et tente d’écrire, en vain.
En voilà un pitch bien garni (et encore j’ai pas tout dit). Et justement, Poetry aurait pu être admirable si son scénario n’était pas aussi trapu. De péripétie en péripétie, autour de la protagoniste principale, les couches scénaristiques s’amoncellent, épaississent le récit et finissent par le rendre indigent.
Des événements, des rebondissements, il y en a, mais ils se diluent dans chaque élément ajouté à la trame principale. Les différents segments du film ne cessent de s’entrecouper, installant un rythme soutenu qui finit paradoxalement par ennuyer. On n’a jamais l’occasion d’entrer vraiment dans une scène, de la ressentir, malgré les 140 minutes d’images.
On pourrait comparer ce film à l’excellent Mother, de Bong Joon-Ho. Mother dressait aussi le portrait d’une femme au bord du gouffre, une maman tentant d’innocenter son fils, accusé de meurtre. Cette idée fixe était un fil rouge tout trouvé au film et le rendait haletant. Dans Poetry, c’est très différent, Mija doit trouver beaucoup d’argent mais cela ne semble pas lui importer, elle virevolte, gamberge, mange des pommes, écrit des mots dans un carnet, va voir le docteur, travaille un peu, discute avec des passants, va à des cours de poésie. Finalement le film est comme son héroïne, une allégorie de la frivolité, du dilettantisme, qui vit moyennement la transposition à l’écran. Un tel parti pris aurait pu être intéressant si le vrai sujet était la maladie d’Alzheimer, mais il n’est pas que cela (d’ailleurs il est traité très sommairement), et c’est un problème.
Le sujet, c’est la poésie, et il est vrai qu’elle est évoquée de bout en bout mais Lee Chang-Dong n’arrive jamais à le traiter qu’en surface. Par exemple, les longues scènes de déclamations de poésie auxquelles assiste Mija, au lieu d’intensifier la narration, restent au stade de l’anecdote et finissent par ennuyer, faute de lien avec le reste de l’histoire.
Malgré ses défauts, Poetry trouve à offrir quelques moments de grâce, notamment par les rencontres que fait Mija, qui donnent lieu à de belles séquences dialoguées, on l’on commence à sentir de la vie dans le cinéma de Lee Chang-Dong, celle qui manque à toutes ces saynètes trop dispersées pour toucher. Poetry reste un film infiniment délicat et humain, parfois touchant, et il lui manquerait peu de choses pour être un grand film.