When you’re strange : instructif mais plan plan

Les sorties cinéma en ce moment, c’est pas la joie. Entre le film de chien-chien trop mignon (Hatchi), la série B au pitch pas très frais (The Crazies) et la comédie qu’on n’attendait pas avec Marc Lavoine (Les meilleurs amis du monde), il ne nous reste qu’un bon vieux docu rock pour pleurer.

When you’re strange parle des Doors, et c’est Johnny Depp qui raconte. Voilà pour le point de départ. Le premier piège est déjà évité : j’avoue que je n’ai pas vu le film d’Oliver Stone (The Doors), cependant j’ai un mauvais a priori sur les biographies romancées au cinéma et encore plus si cela concerne un de mes groupes favoris. J’aurais donc mal apprécié qu’un acteur hype du moment perde vingt kilos pour biopiquiser Jim Morrison, fut-ce sous la direction de Gus Van Sant.

Alors oui, d’accord pour un documentaire. Celui-là est très bien, on apprend des trucs, déjà. La chronologie de l’histoire du groupe est retracée dans le détail, les images d’archives (qui constituent la totalité du film) sont plaisantes, parfois inédites. La musique est parfaite (de fait). Le problème avec Tom DiCillo, c’est que son film reste toujours très factuel. Les extraits de Highway (moyen-métrage mystique de Jim Morrison tourné en 1969 et jamais monté) disséminés par-ci par-là ou la narration flegmatique de Johnny Depp ne suffisent pas à donner une vraie âme au récit. C’est pourtant la moindre des choses quand on s’aventure sur un tel terrain (les Doors quoi !).

Un passage sympa du film

Faute d’archives disponibles, on peut encore pardonner le peu de temps accordé au début du film à l’adolescence de son héros (pourtant cruciale à mon avis pour comprendre la suite de l’histoire). Les divers dérapages et pétages de câbles de Jim Morrison en revanche sont décrits dans le moindre détail, images à l’appui (« alors je vais vous montrer ma bite ! »). Par contre on ne s’intéresse que poliment aux autres membres du groupes, pour mentionner par exemple que Robby Krieger (guitariste) kiffait le flamenco ou que les lignes de basses étaient jouées au clavier, mais quasiment jamais leurs rapports au sein du groupe ne sont évoqués si ce n’est à la fin du film pour justifier leurs divergences d’avec leur leader.

La profondeur du personnage de Jim Morrison est juste suggérée par bribes, extirpée de rares images d’interviews (qui représentent environ cinq minutes sur 1h30 de film) ou lorsqu’on nous parle très rapidement des travaux littéraires du chanteur (il était notamment très fier de la publication de ses recueils de poésie). Au final on regrette que toute l’attention du réalisateur soit portée sur les côtés trash du groupe et moins sur l’analyse de la naissance du mythe ou même de la musique elle-même, très brièvement évoquée en tout début de film.

Tom DiCillo s’essaie parfois à donner un point de vue à son film, mais tape souvent à côté de la plaque. Toujours très schématique dans son montage d’images et de musique, il se prend parfois à extrapoler les paroles des morceaux du groupe pour y voir des critiques de la guerre, de la violence, etc. Et se perd en considérations pour le moins simplistes qui nous valent notamment une séquence balourde à souhait superposant le chef d’oeuvre Riders on the storm à des images de guerre du Vietnam. C’est dans ces moments qu’on se rend le plus compte du peu de matière dont a disposé DiCillo pour faire son film. Quand on n’a pas d’image, il faut meubler. Voilà.

Malgré son côté Un jour un destin amélioré, When you’re strange reste un documentaire instructif et profitable, qui a au moins le mérite de donner une furieuse envie de se replonger dans l’oeuvre immense des Doors. Ce que je m’en vais faire de ce pas.

Crazy Night, une petite comédie sympatoche

Shawn Levy, réalisateur de La Nuit au Musée et La Panthère Rose en a visiblement eu marre de faire des films de gamins. S’infiltrant dans la brèche qu’avait ouvert The Hangover l’an dernier, l’ami Shawn a réussi à s’entourer des excellents Steve Carell et Tina Fey pour faire un vrai film de comédie pour les grands.

Le couple Foster en a un peu marre de son train-train quotidien et décide d’aller dîner dans le resto le plus classe de la ville. Complet, mais par un heureux concours de circonstances ils arrivent à se faire passer pour un autre couple ayant réservé leur place, eux. Le problème, c’est que ce couple est recherché par de dangereux malfaiteurs… Badaboum.

Voilà donc le point de départ pas très jojo de cette comédie. On croit qu’on va souffrir et finalement non, c’est drôle, grâce d’abord à Steve Carell et Tina Fey, excellents quoiqu’un peu trop prolifiques en bonnes vannouzes du tac au tac pour rendre crédible leur couple prétendu morose (ce que personnellement j’appelle le syndrome Friends, mais j’en parlerai un autre jour). Car plus encore que pour ces deux-là, certains seconds rôles ont été particulièrement soignés, comme celui de James Franco en larron sympathique bien que doucement allumé ou Mark Wahlberg en ex-client charitable mais exaspérant de torsenuitude (comprendra qui aura vu le film). Ce genre de personnages jalonne le récit, et dynamise le film, qui n’est jamais ennuyeux. En revanche je passe plus rapidement sur celui de Ray Liotta, absolument inutile dans un rôle de parrain pas du tout effrayant.

Tina Fey – Steve Carell, bien assortis

D’ailleurs voilà le gros défaut de Crazy Night : tout le monde est gentil. Les deux flics ripoux qui poursuivent le couple ne semblent jamais vraiment dangereux et on sait pertinemment qu’il n’arrivera rien de bien grave aux héros jusqu’à la fin du film. Tout le monde est bienveillant, par exemple le personnage de Mark Wahlberg se fait détruire malencontreusement sa superbe voiture de course (entre autres) par le couple Foster, mais c’est pas grave c’est pour aider. James Franco, lui, qui détient la clé USB recherchée par les malfaiteurs la cède à nos amis sans qu’ils aient même à le demander et sans aucune contrepartie.

Bref tout cela reste très concon et simpliste du début à la fin, sans doute un héritage des précédents films de Shawn Levy, mais en revanche celui-ci ne donne jamais dans la grossièreté comme cela pouvait être le cas dans The Hangover, qu’on cite souvent pour parler de ce film. Pour ma part, je trouve que l’ambiance générale va plutôt lorgner vers un Kiss Kiss Bang Bang notamment lors de scènes d’actions bien maîtrisées, plutôt inventives et joyeusement décalées. La différence avec le film de Shane Black, c’est évidemment le scénario qui ne va jamais chercher très loin dans la construction de l’intrigue ; le tout se résoudra finalement en deux coups de cuillères à pot, mais on s’en fout, l’important c’est qu’on ait ri un peu, et c’est le cas.

On oubliera quand même bien vite ce petit film sympathique et amusant, et on conseillera plutôt un bon Kick-Ass toujours en salles, pour sortir des sentiers battus de la comédie américaine populaire et bêtasse.

Life During Wartime, un Solondz soft mais brillant

Il y a un peu plus de dix ans par un doux matin de février sortait sur nos écrans l’un des films les plus trash de la fin du XXe siècle. Son titre : Happiness. Son créateur : Todd Solondz. Le réalisateur new-jerséyen plantait alors avec force les jalons de son cinéma sans concession, trois ans après Bienvenue à l’âge ingrat, son premier « vrai » long-métrage (Todd ayant renié son Fear, Anxiety & Depression de 1989). A l’époque, Solondz peignait sans aucune modération des portraits croisés de névropathes, suicidaires ou autres pédophiles avec un humour cinglant totalement décomplexé et immoral.

En 2001, Solondz s’érige véritablement comme une sorte de Woody Allen du côté obscur en sortant son chef-d’oeuvre selon moi, Storytelling. Avec la même verve sadicomique, il éclairait l’Amérique dans toute sa laideur, à travers une galerie de personnages incroyables, d’une humanité glaçante, qu’ils fussent victimes ou bourreaux, et jetait un regard clairvoyant mais impitoyable sur notre société.

Enfin en 2005, il commettait l’insurpassable Palindromes, incontestablement son film le plus sordide mais peut-être aussi le plus drôle, racontant les tribulations d’une jeune adolescente prénommée Avida, obsédée par son envie de devenir mère. Solondz y aborde des sujets aussi vastes que le suicide, l’avortement, la pédophilie, le fanatisme religieux, le handicap dans un road movie au ton unique, à l’humour glaçant et jubilatoire. Pour bien situer l’esprit du film, rien de tel qu’un petit extrait (de 20 minutes) : Avida qui se fait désormais appeler Henrietta, ayant fugué de chez ses parents, trouve refuge chez une dénommée Mama Sunshine, qui lui offre une place dans son centre d’hébergement pour enfants en difficulté, handicapés pour la plupart. L’occasion pour Avida/Henrietta de faire de belles rencontres et pour le spectateur d’assister à l’une des scènes de repas les plus déconcertantes de l’histoire du cinéma.

Palindromes : Todd Solondz dans toute sa splendeur

C’est donc là qu’on avait laissé Todd Solondz, et voilà maintenant Life During Wartime, film déjà conceptuel par le fait que ses personnages sont les mêmes que ceux d’Happiness, mais joués par des acteurs différents et dans un contexte spatiotemporel également différent (chacun a vieilli mais pas du même nombre d’années). Je précise tout de suite qu’il vaut mieux avoir vu Happiness pour comprendre ce qu’il se passe dans Life During Wartime : le sujet de ce nouveau film étant principalement la rédemption et le pardon, avoir vu clairement ce qu’il s’est passé précédemment aide beaucoup à comprendre la situation.

Pour résumer, l’histoire tourne autour de trois personnages féminins pour qui la vie familiale a globalement été un fiasco. Joy dont un des prétendants s’est suicidé et dont le mari actuel lutte contre ses addictions aux drogues, vols et obsessions sexuelles arrive à Miami pour faire le point auprès de ses deux soeurs, Helen, actrice hollywoodienne solitaire et névrosée et Trish, qui tente de reconstruire un couple après l’arrestation du père de ses enfants pour pédophilie. Celui-ci sort d’ailleurs de prison au début du film, et suscite toutes les interrogations de son fils cadet (le petit garçon de l’affiche) qui ne l’a pas connu et le croit mort.

L’esprit de Todd Solondz est toujours là : personnages névrosés (la fille de Trish emprunte du Prozac dans la trousse à pharmacie de sa maman), humour grinçant, notamment lors des scènes entre parents et enfants, sujets sensibles (pédophilie (encore), religion). Mais ce qui surprend cette fois, c’est le ton presque modéré voire mainstream qu’emploie le film. Beaucoup moins jusqueboutiste que ses prédecesseurs, Life During Wartime fait la part belle à la suggestion et l’introspection. Le film est pour sa plus grande partie méditatif et s’arrête sur ses personnages, les met en face de leur réalité, et les fait s’interroger sur leur condition.

Entre les deux épisodes, un changement de cap qui se voit aussi sur l’affiche

Les habitués de Solondz (dont je suis) seront un peu déroutés par ce revirement. S’est-il assagi ou a-t-il plié à la pression des studios ? Je n’en sais rien, mais cette nouvelle tonalité ne rend pas son film moins intéressant pour autant. Il lui reste une âme, une profondeur, et toujours une liberté de forme et de ton que l’on voit rarement au cinéma par les temps qui courent et qui, à l’image du dernier film des Coen par exemple, invite à revoir le film une deuxième fois pour en saisir tous les tenants et aboutissants.

Et encore une fois Solondz prouve qu’il sait s’entourer. Allison Janney, dont on avait déjà pu apercevoir tout le talent récemment dans Away we go, est absolument stupéfiante dans le rôle de Trish, mère essayant tant bien que mal de composer avec son passé, ses enfants et son nouvel amant. Ciaran Hinds, qui reprend le rôle du père pédophile rendu presque sympathique par Dylan Baker dans Happiness, compose ici un personnage sinistre mais déroutant, inquiétant mais lui-même désorienté face à une réalité à laquelle il ne peut échapper. Sa rencontre avec le personnage de Charlotte Rampling est d’ailleurs l’un des grands moments du film. Quant à Paul Reubens, sa composition d’un fantôme maladif et obsédé sexuel revenant d’entre les morts pour hanter Joy est macabrement géniale, bien loin du personnage de Pee-Wee Hermann qui l’avait rendu célèbre dans les émissions et le film du même nom.

Allison Janney, ma nouvelle actrice préférée

Après les surprises Mammuth, Kick-Ass ou L’épine dans le coeur (dans des styles très différents), Life During Wartime est donc une excellente conclusion à ce mois d’avril très riche en cinéma. Vive le vrai cinéma indépendant. God bless America.

Kick-Ass, un vrai film de super-héros

Dave (Aaron Johnson) est un ado normal et il veut devenir un super héros. Seul problème : il n’a ni super-pouvoir, ni aptitude particulière dans quelque domaine que ce soit, mais qu’importe, il est motivé c’est l’essentiel… Heureusement pour lui, il est suppléé dans sa lutte contre le crime par un duo père-fille surentraîné et pressé d’en découdre (Nicolas Cage / Chloe Moretz).

Kick-Ass est un film hétérogène. C’est d’abord une comédie, qui emprunte volontiers quelques running gags éculés depuis 15 ans et autres automatismes désespérants aux teens movies à la American Pie (branlette sur YouPorn, humiliation devant les casiers, bombasse inaccessible mais qui dit quand même oui à la fin, etc). Pour résumer, le côté gaguesque au premier degré du film est parfois un peu paresseux, par exemple on se repose beaucoup trop sur le capital sympathie que peut avoir Christopher « McLovin » Mintz-Plasse pour nous faire accepter son personnage pas très intéressant dans le film.

Mais Kick-Ass, heureusement, c’est surtout un film d’action, de baston, de super-héros, est c’est là qu’il percute. Car en plus de se payer légèrement la tête de quelques cibles majestueuses (Batman, Spiderman et d’autres), Matthew Vaughn s’approprie les codes du genre, réussit à les transcender et à livrer des scènes d’action bluffantes dignes des meilleures productions marvelesques. Rythmées, drôles, inventives, voire virtuoses, surélevées par une musique de bon aloi, c’est elles qui sont le moteur du film, et elles sont abondantes. C’est l’occasion également de se réjouir de quelques effusions et débordements gores complètement inattendus, mais du plus bel effet.

Ce joyeux bordel est porté par des interprètes inspirés, parmi lesquels on peut saluer Mark Strong en truand désorienté, ou Nicolas Cage excellent en vengeur impitoyable dans sa combi simili-Batman élégamment pourlingue.

On restera donc indulgent sur les quelques fautes de goûts ou autres creux scénaristiques abandonnés çà et là, car avec ou sans ses défauts Kick-Ass reste incontestablement un des films les plus réjouissants de ce mois d’avril.

Mammuth, un film marrant mais pas que

Serge, dit Mammuth (Gérard Depardieu) part en retraite et se rend compte qu’il lui manque certains documents pour toucher entièrement sa retraite. Sa femme Catherine (Yolande Moreau) le pousse à reprendre sa vieille moto, une Münch Mammuth, pour partir en quête de cette paperasse auprès de ses anciens employeurs.

Dès la première séquence, le ton est donné, le film s’ouvre sur un pot de retraite et surtout un discours du chef de service criant et hilarant de réalisme. Pas de doute, on est toujours dans la veine naturaliste de Aaltra et l’inspiration humoristique de Louise-Michel, les mecs de Groland n’ont pas changé. Gérard Depardieu et Yolande Moreau, dans un registre inhabituellement modéré, sont parfaits en couple de petit vieux ébranlé face à leur nouvelle situation, et on est presque triste du départ de Mammuth sur sa moto éponyme tant on a envie de voir le duo évoluer ensemble.

Finalement on n’y perd pas au change car le voyage de Mammuth est l’occasion de croiser sur son chemin un défilé de personnages tous plus barges les uns que les autres. Après une succession de sketches plus ou moins inspirés, portés par les guests désormais habituels (Benoît Poelvoorde, Siné, Bouli Lanners) et d’autres tout aussi savoureux (Anna Mouglalis, Albert Delpy, Dick Annegarn), les gags se raréfient, et si l’atmosphère reste gravement décalée, l’émotion s’installe, en particulier quand Mammuth fait la rencontre de sa nièce arriérée voire semi-folle, un personnage à la fois inquiétant et terriblement touchant.

Le film puise alors toute sa force dans la poésie qui se dégage de leur relation, une émotion toujours ponctuée de syncopes trash qui fait que le film ne tombe jamais dans le trop-plein émotif, sauf peut-être lors des apparitions hallucinatoires d’Adjani en fantôme de l’ancien amour de Mammuth, un peu artificielles, qui alourdissent plus la narration qu’autre chose.

Voilà donc un road-movie atypique, drôle et poétique, qui donne à Depardieu un rôle qui lui manquait depuis longtemps, celui d’un type simple, presque normal, mais pas pour autant ordinaire.